L’Union européenne soutient le journalisme engagé et l’innovation médiatique dans le voisinage sud à travers plusieurs concours. 3Q TALKS, une série d’interviews, donne la parole aux lauréat·e·s de ces compétitions pour découvrir les coulisses de leur parcours, mettre en lumière l’impact de leur travail et inspirer la jeunesse.
Hadeel Arja, lauréate du Prix Samir Kassir 2024 dans la catégorie article d’investigation, a été récompensée pour son enquête intitulée « La pratique choquante de la puberté forcée dans les camps du nord de la Syrie », publiée le 15 mars 2024 sur Daraj Media et Tiny Hands. Ce reportage révèle l’une des violations les plus méconnues auxquelles sont confrontées les jeunes filles dans les camps de personnes déplacées : l’administration d’hormones pour accélérer les menstruations en vue de mariages forcés. Dans cet entretien, Hadeel revient sur la signification de ce prix, l’impact de son travail et les conseils qu’elle aurait aimé recevoir au début de sa carrière.
Qu’est-ce qui vous a inspirée à participer au concours du Prix Samir Kassir, et que représente ce prix pour vous ?
Je n’ai pas les mots pour exprimer pleinement l’honneur que je ressens en recevant ce prix. Le Prix Samir Kassir a une signification profonde pour moi : il porte le nom d’un journaliste remarquable, assassiné pour la force de ses mots. Son héritage perdure non seulement à travers le prix, mais aussi à travers le travail infatigable de son épouse, la journaliste Gisèle Khoury, qui a consacré sa vie à la vérité et à la redevabilité. Participer à ce concours était une décision à la fois personnelle et professionnelle. J’ai été inspirée par les valeurs que ce prix incarne : le courage, l’intégrité, et la conviction inébranlable que le journalisme peut avoir un véritable impact. J’ai eu l’honneur d’être présélectionnée une année, puis de remonter sur scène l’année suivante en tant que lauréate. Remporter ce prix dépasse la simple reconnaissance : c’est un rappel que nos mots comptent, qu’ils peuvent influencer, remettre en question et défier les systèmes de pouvoir.
En quoi votre travail journalistique contribue-t-il à faire évoluer les regards ou à susciter le débat dans votre société ?
Mon travail vise à donner la parole à celles et ceux qu’on entend trop peu, en particulier les enfants, les femmes et les communautés touchées par les conflits. En révélant des histoires invisibles et en ayant recours à des techniques d’investigation, je cherche à remettre en cause les récits dominants et à valoriser des points de vue rarement représentés dans les médias traditionnels. Le journalisme, pour moi, ce n’est pas seulement relater des faits : c’est interroger les silences, promouvoir la redevabilité et inciter les gens à aller au-delà des apparences. Lorsqu’un reportage suscite un débat ou change le regard porté sur un sujet, c’est là que le changement commence vraiment.
Quel conseil auriez-vous aimé recevoir à l’âge de 20 ans ?
N’attends pas pour raconter des histoires fortes. Ce métier repose sur le courage. On peut être un·e journaliste solide sans appartenir à un grand média : ce sont le travail, la passion et l’intégrité qui définissent un·e journaliste. Et ne suis pas les tendances les yeux fermés. Il y a toujours des histoires négligées quelque part : va les chercher, et raconte-les avec honnêteté et conviction.