Mohammed al Kahlout, journaliste originaire de Gaza, a remporté le TANDEM Media Awards 2022 dans la catégorie Étudiant·e·s/Journalistes, aux côtés de Mohammed Hasan al-Rifai, pour leur documentaire Gaza and Idlib, qui met en lumière des projets de soutien aux enfants dans les zones de conflit à travers l’éducation et l’accompagnement psychologique. Aujourd’hui journaliste professionnel, il a couvert la guerre à Gaza, au cours de laquelle il a perdu sa maison. Mohammed al Kahlout revient sur la force du récit, le rôle du journalisme face aux récits dominants, et l’importance de garder espoir même dans les pires circonstances.
Qu’est-ce qui vous a encouragé à participer au TANDEM Media Awards et que représente pour vous cette récompense, sur les plans professionnel et personnel ?
Ce qui m’a encouragé à postuler, c’est ma conviction dans la force de la collaboration transfrontalière, surtout lorsqu’il s’agit de raconter des histoires profondément humaines. Les prix qui célèbrent le partenariat et la diversité narrative, comme le fait TANDEM, créent un espace rare pour les journalistes, leur permettant de dépasser les frontières de la langue et de la géographie. Remporter ce prix a été pour moi une reconnaissance que les récits centrés sur l’humain ont encore un écho, même dans le vacarme des titres d’actualité rapides. Sur le plan professionnel, cela m’a donné un élan pour continuer à poursuivre un journalisme approfondi. Je n’ai pas pu assister à la cérémonie de remise des prix en raison de circonstances indépendantes de ma volonté, mais mon absence physique ne m’a pas empêché de vivre l’instant. Quand les résultats ont été annoncés et que j’ai reçu les félicitations de mes collègues, je me suis senti présent, à distance. Le prix m’est parvenu quelques semaines plus tard, mais je l’ai perdu après la destruction de notre maison dans le nord de Gaza pendant cette guerre.
En quoi votre travail journalistique contribue-t-il à remettre en question les récits dominants ou à susciter le changement ?
Dans chaque reportage, j’essaie de poser plus de questions que d’apporter des réponses toutes faites. Beaucoup de récits dominants reposent sur des simplifications ou des stéréotypes répétés. À travers les histoires humaines et le journalisme en profondeur, je cherche à présenter des angles différents, à mettre en lumière les contradictions et à redonner une voix aux personnes qu’on fait souvent taire. Un des moments les plus marquants pour moi en tant que journaliste s’est produit durant cette guerre, en réalisant un reportage sur une famille déplacée par les bombardements. La mère tentait de créer un semblant de réconfort pour ses enfants dans une tente de fortune, en racontant des histoires et en riant avec eux. J’ai vu une peur profonde dans ses yeux, mais dissimulée derrière une force incroyable. Ce moment m’a rappelé que le journalisme, c’est documenter la dignité humaine et la résilience dans les instants les plus éprouvants.
Quel conseil donneriez-vous aux jeunes journalistes, en particulier à celles et ceux qui travaillent dans des environnements difficiles ou touchés par les conflits dans la région ?
Je leur dirais : ne sacrifiez jamais votre humanité pour un “scoop” et ne laissez pas la peur étouffer votre voix. Les conflits tentent de réduire les gens à des chiffres ou à des camps opposés, mais c’est au journaliste de rappeler au monde que derrière chaque chiffre, il y a une vie. Et surtout, ne perdez jamais espoir : même dans les heures les plus sombres, les mots ont encore le pouvoir de faire la différence.