À la recherche des étoiles : sur la route aux côtés d’actrices du changement dans le nord de la Tunisie, dans le cadre de l’initiative « Chasing Stars »

Octobre 25, 2024
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Vendredi 6 septembre. Il est tôt lorsque le bus quitte la capitale de Tunis, alors en pleine effervescence. L’excitation des 15 membres du réseau EU Jeel Connect, du représentant de la communauté #InTheirEyes et des responsables de la délégation de l’UE et du programme EU Neighbours South est palpable. Leur mission ? Partir en voyage dans les forêts du nord de la Tunisie, découvrir divers projets financés par l’UE et rencontrer celles et ceux dont les vies ont été transformées par ces initiatives. Ce périple, baptisé « Chasing Stars on the Road » (sur la route, à la recherche des étoiles), consistait à montrer aux participants le caractère concret de ces projets ainsi que leur importance pour les communautés locales.

Première étape : la ville de Béja, où le groupe est intervenu sur la station locale Radio Chamel pour échanger avec les auditeurs sur leur voyage et son importance. Dans la bonne humeur, les « Jeel Connectors » ont évoqué leurs prochaines aventures et sont revenus sur le travail incroyable accompli dans les régions du nord du pays. Connues pour leurs forêts luxuriantes et leurs énormes ressources hydriques, elles regroupent près de 10 % de la population tunisienne. Ayant conservé certaines traditions ancestrales, ces populations travaillent en harmonie avec la nature, ce que le groupe aura l’occasion de constater au fil de son périple dans cette région.

Mabrouka, véritable leader de la coopérative « El Baraka » à Tbainia

Cap sur le petit village forestier de Tbainia, où se trouve El Baraka, une coopérative de femmes se consacrant à la transformation des produits forestiers. Dirigée par la remarquable Mabrouka Athimni, la coopérative produit des huiles essentielles, des eaux florales et des produits cosmétiques, tous fabriqués à partir de plantes locales comme le lentisque, le romarin et le thym. Mabrouka, que les locaux ont baptisé « la bonne fée de Tbainia », a accueilli le groupe à bras ouverts. Célibataire et sans enfants, elle s’est consacrée corps et âme à la coopérative, et accompagne plus de 30 femmes qui travaillent sous sa supervision.

Difficile de cacher son admiration après avoir entendu son histoire et constaté son engagement et sa passion envers son équipe. « Mabrouka est une véritable icône ! », s’exclame alors un des membres du réseau EU Jeel Connect.

Jad Boubaker est membre de l’OIT, chargée de la mise en œuvre de l’Initiative Pilote pour un développement Local Intégré (IDPLI) financée par l’UE, qui a permis de soutenir El Baraka. Il revient sur les origines historiques de la coopérative et explique que « les forêts tunisiennes du nord ont toujours été habitées. Depuis l’époque romaine – et même avant –, les populations y entretiennent une relation harmonieuse avec la nature. Grâce au soutien de l’UE, nous modernisons ces anciennes traditions pour garantir leur caractère durable. »

Boubaker souligne l’importance de la participation locale. Le projet IPDLI ne consiste pas seulement à distribuer des aides, mais également à appuyer et à autonomiser les communautés. Les femmes, rappelle-t-il, sont la véritable force de la région : « elles travaillent, paient les factures et gèrent le foyer. Ce sont elles qui prennent les choses en main, et vous le verrez tout au long du voyage. »

À l’heure de quitter El Baraka, l’admiration pour Mabrouka et ses acolytes est palpable. Le voyage, qui ne fait alors que commencer, a déjà permis aux participants de réaliser l’énorme impact des initiatives financées par l’UE sur les communautés rurales tunisiennes et sur leur histoire riche et bien vivante.

 

Cap sur Ain Draham, à la rencontre des gardiennes de la tradition de l’association Assak

Le groupe part ensuite à la rencontre de l’association de soutien aux artisanes de Kroumirie. Fondée en 1995, sa mission consiste à préserver le savoir-faire séculaire des femmes de la région. Ces artisanes talentueuses sont spécialisées dans la création de superbes tapis berbères, aux teintes végétales et naturelles, ce qui témoigne de leur lien profond avec les ressources naturelles de leur région.

Le projet JEUN’ESS, financé par l’UE, soutient cette association. Il a permis de créer des emplois décents pour les jeunes des zones défavorisées tout en promouvant l’économie sociale et solidaire (ESS). À l’image d’El Baraka, l’association ASSAK place les femmes au cœur de son action. Grâce à elle, les habitantes de cette région rurale ne se contentent pas de préserver leur patrimoine culturel : elles améliorent leurs conditions de vie tout en valorisant l’artisanat tunisien.

Lorsque les « EU Jeel Connectors » pénètrent dans l’atelier, ils sont accueillis par le rythme musical des métiers à tisser. Les femmes, toutes à leur travail, leur montrent les techniques complexes permettant de créer ces magnifiques tapis berbères. Alors qu’ils voient la magie opérer, les jeunes s’émerveillent de la dextérité et de la patience requises. Certains en profitent pour tisser d’autres types de liens avec les enfants des artisanes présents à l’atelier, trop heureux de jouer et d’échanger pendant que leurs mères sont à l’œuvre.

Cette visite fut l’occasion d’apprécier l’utilisation durable des ressources naturelles. « Voir ces femmes travailler comme leurs aïeules, avec ce que la nature leur offre, pour donner vie à quelque de chose d’intemporel et de beau est tout simplement stupéfiant », s’émerveille l’un des participants.

Captivés par la qualité et l’esthétisme des tapis, de nombreux voyageurs ont choisi de ramener un souvenir de leur voyage. La visite d’Assak a permis de montrer l’importance de la préservation du patrimoine culturel tunisien. Elle a également mis en lumière la manière dont des projets tels que JEUN’ESS produisent un changement durable et des opportunités économiques dans le pays.

 

Ceratonia, ou comment innover avec la caroube

Samedi 7 septembre. Les « EU Jeel Connectors » quittent Ain Draham en direction de Jendouba. Sur la route, le soleil matinal produit un halo doré sur les paysages spectaculaires et majestueux. Les champs verts, parsemés de collines, s’étendent à l’horizon comme pour illustrer la richesse de la campagne du nord de la Tunisie.

Premier arrêt sur le site de Ceratonia, une PME florissante fondée en 2019 par Maha Kahlaoui, ingénieure agroalimentaire. Spécialisées dans la valorisation des fruits de la caroube, Maha et son équipe ont décliné un ingrédient séculaire en une variété de produits : poudre, mélasse, vinaigre, pâte de grenade ou encore sucre de datte.

Sur place, le groupe est accueilli par l’odeur de la caroube fraîchement traitée. Les jeunes visitent le laboratoire de Maha, qui leur présente chaque étape du processus de production. Du tri des gousses aux différentes machines permettant de décliner le fruit sous de nombreuses formes, tous ont pu observer cette combinaison harmonieuse de tradition et d’innovation au service de produits uniques et axés sur le bien-être.

Maha revient avec passion sur les origines du projet : « Le caroubier pousse ici depuis des milliers d’années, mais ses incroyables bienfaits ont souvent été sous-estimés ». Après s’être uniquement concentrée sur les produits à base de caroube, Ceratonia a depuis développé sa gamme avec d’autres fruits de la région, montrant ainsi qu’innovation peut rimer avec tradition.

Grâce au soutien du projet Innov’i – EU4Innovation, l’entreprise de Maha a connu une forte croissance. En 2022, Ceratonia a reçu un prêt d’honneur de 30 000 dinars tunisiens, utilisé pour acheter de nouveaux équipements et des matières premières. Cela a permis de dynamiser l’entreprise et de créer des emplois saisonniers pour les femmes issues des communautés rurales. Le projet, financé par l’UE et mis en œuvre par Expertise France, encourage l’entrepreneuriat et l’innovation dans les régions intérieures de la Tunisie. La réussite de Maha vient témoigner de son impact.

Les « Jeel Connectors » ont été particulièrement impressionnés par l’engagement de Ceratonia en faveur du développement durable. Maha explique que son entreprise s’efforce de ne produire aucun déchet en cherchant des moyens innovants pour réutiliser les sous-produits. Elle transforme par exemple les déchets de production en nourriture destinée aux animaux. Désormais, ses produits sont distribués dans les grands supermarchés et même exportés, ce qui laisse présager de la croissance et des réussites futures de Ceratonia.

 

Le custer Klim Keffois, ou l’artisanat innovant

De Jendouba, le groupe se dirige vers la ville historique du Kef pour la quatrième et dernière étape du voyage : le cluster Klim Keffois, soutenu par Creative Tunisia. Ce projet, financé par l’UE en collaboration avec l’Agence Italienne pour la Coopération au Développement et mis en œuvre par l’ONUDI, a pour but de renforcer la compétitivité du secteur de l’artisanat grâce à la modernisation des équipements, la formation des artisans et la création de nouvelles opportunités commerciales.

À son arrivée au Kef, le groupe est accueilli dans l’atelier de Sayda Yacoubi, fer de lance du label « Lella Mna » qui supervise plus de 40 artisanes locales. L’atelier de Sayda est plus qu’un simple espace de tissage de Klim traditionnel, il s’agit d’un véritable centre de créativité et d’innovation. Les participants ont pu découvrir un large choix de produits artisanaux étonnants, allant des tapis tunisiens traditionnels aux superbes parures de lit, sans oublier des couvertures, des sacs ou encore de petits tapis de salle de bain magnifiquement tissés.

En observant les artisanes au travail, les jeunes ont pu mettre la main à la pâte et apprendre certaines techniques de tissage. L’un des moments forts de la visite fut la confection d’un petit porte-clés en laine qu’ils ont ramené chez eux en souvenir. Dans une ambiance chaleureuse et d’échange, les artisanes ont partagé leurs techniques, mais aussi leurs histoires, ce qui a permis de créer un véritable lien avec les visiteurs.

Leader passionnée, Sayda raconte sa fierté quant aux progrès réalisés par les femmes qu’elle a prises sous son aile. « Dans deux jours, nous irons à la grande foire du Kram », se réjouit-elle. Elle fait référence à la première édition de l’exposition ArtiCrea, organisée par Creative Tunisia. « Nous avons préparé un large stock de nos meilleures réalisations à ce jour », confie-t-elle, alors que l’excitation dans sa voix traduit l’énergie et l’ambition palpables dans son atelier.

Radhouen Saidi, représentant régional du projet Creative Tunisia, s’était rendu sur place pour revenir sur l’impact concret du projet dans la région du Kef. « Le travail accompli ici est un bond en avant en matière de qualité et de variété », se réjouit-il. « Nous avons collaboré avec des designers tunisiens et internationaux pour aider ces femmes à moderniser leurs collections et à accéder à de nouveaux marchés. Elles ont ainsi accru leurs marges bénéficiaires et amélioré leurs conditions de vie ». Il souligne le fait que le secteur de l’artisanat ne permet pas uniquement de préserver le patrimoine culturel : il constitue également une alternative plus sûre et plus lucrative à l’agriculture pour de nombreuses femmes de la région.

Dernière étape du voyage, la visite du Kef a une fois de plus mis en lumière un thème récurrent tout au long de l’excursion : les femmes gèrent leurs communautés, préservent les traditions tout en se tournant vers l’innovation et jouent un rôle vital dans l’économie locale. C’est le cœur plein et les bras chargés d’artisanat que le groupe a quitté Le Kef, au terme d’une aventure exaltante ayant mis en lumière l’impact concret des projets financés par l’UE dans toute la Tunisie.

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