Clima-Med: Des héros en herbe luttent contre le changement climatique

Janvier 2, 2020
Partager sur

Très tôt le matin en ce dimanche de novembre, le temps est brumeux à Hammam Sousse, ville du Sahel tunisien. Il a beaucoup plu la veille et les rives de l’Oued El Hammam sont enveloppées d’un brouillard dense. Malgré des prévisions météo pessimistes, des ouvriers municipaux s’affairent sur la rive droite de l’Oued, pelles à la main, creusant des dizaines de trous. Des arbres y seront plantés dans les heures à venir par des riverains, dans le cadre du projet Clima-Med « Agir pour le climat dans le Sud de la Méditerranée », financé par l’Union européenne et déployé dans huit pays.

Depuis quelques années, le changement climatique et son impact négatif, voire dangereux, sur la planète sont sur toutes les bouches et chacun tente d’y parer au mieux. Pourtant, rares sont ceux qui comprennent réellement ce phénomène. La notion de changement climatique est associée au réchauffement climatique ayant débuté il y a quelques décennies. Il se traduit par une hausse des températures moyennes entraînant notamment la fonte des glaciers, et donc la montée des eaux, la diminution des ressources en eaux disponibles dans les zones arides et l’augmentation de la fréquence des phénomènes extrêmes (tempêtes, sécheresses). Ces changements sont la conséquence des activités humaines et de la pression sur les ressources naturelles. Une des solutions les plus simples pour lutter contre le changement climatique reste la plantation d’arbres qui absorbent le gaz carbonique, le plus important des gaz à effets de serre.

Depuis qu’elle a appris qu’elle participerait, en fin de semaine, à une action de plantation d’arbres, Fatma Guebsi, 11 ans, ne tenait plus en place. Ce matin, elle s’est réveillée aux aurores et a (im)patiemment attendu le moment de retrouver ses maîtresses et d’autres élèves de son école pour se rendre aux abords d’Oued El Hammam. A l’école, on leur a appris que cette action de plantation était une initiative citoyenne environnementale qui contribuerait à prendre soin de la planète. Depuis, Fatma fait plus attention et dit vouloir combattre la pollution pour ne pas faire souffrir davantage la Terre. Arrivée sur place, elle se détache immédiatement du groupe et court en direction du premier tour. « Je veux m’y mettre tout de suite et planter beaucoup d’arbres ! », affirme-t-elle. Mais elle est vite rattrapée par Abderrazak Mani, président du comité de la propreté, de l’hygiène et de l’environnement à la municipalité de Hammam-Sousse. Il la ramène près du groupe et commence à expliquer le déroulement de la journée et surtout pourquoi il est important de planter des arbres. Grâce à son ton jovial, il arrive à capter leur attention et à aiguiser leur curiosité en leur annonçant, par exemple, que près de 600 arbres et arbustes seront plantés ce jour-là à Hammam Sousse, dans le cadre du projet Clima-Med, pour lutter contre l’impact négatif des changements climatiques. « Grâce à votre aide les enfants, nous allons planter 300 plants de Myoporum, 150 plants de ficus et 150 plants de pins d’Alep », affirme-t-il. A chaque question qui fuse, il prend le temps d’expliquer, en termes simples, le pourquoi du comment des choses. C’est qu’il ne suffit pas d’organiser une campagne de plantation le temps d’une matinée pour changer efficacement les choses, encore faut-il responsabiliser les citoyens, jeunes et moins jeunes, en les sensibilisant à la nécessite de faire plus attention à l’environnement pour préserver la planète et l’avenir des jeunes générations.

Une histoire d’oxygène

Comme Fatma, de nombreux autres enfants participent avec beaucoup d’enthousiasme à cette action du dimanche, notamment les adhérents du club de karaté de Sousse. Dispersés çà et là, certains manient avec une habilité enfantine des pelles, des bêches ou encore des binettes quand d’autres poussent des brouettes ou arrosent les arbustes plantés. Les maîtresses distribuent de l’eau au milieu du joyeux brouhaha des enfants où se mêlent cris de joie et chants festifs. C’est aussi un véritable festival de selfies. Le succès de cette action passe aussi par les réseaux sociaux. Yassine Laâtiri, ceinture verte de karaté, vient de finir la plantation d’un ficus. Il déclare, du haut de ses 14 ans : « La Tunisie doit être verte pour les générations futures ». Pour sa part, Anouar Ben Abdallah, âgé de 14 ans lui aussi, s’arrête d’arroser le temps d’affirmer : « Le sport est mon oxygène mais planter des arbres permettra à tous d’avoir de l’oxygène frais et de respirer un air frais. »

L’environnement sur les bancs de l’école

Assala Selmi, enseignante d’arabe, a tenu à accompagner ses élèves lors de cette action du dimanche. C’est que la cause environnementale lui tient vraiment à cœur. Elle anime, d’ailleurs, le club environnement depuis quatre ans au sein de son établissement scolaire. Très appréciée des enfants, elle répond avec patience à toutes leurs questions portant sur le nom, l’âge ou encore l’origine des plants. « Au sein du club, j’essaie d’intéresser les enfants mais la théorie ne suffit pas. Ils réclament sans cesse de participer à des actions environnementales loin des salles de classe. Cette initiative est donc très appréciable. Mais cela reste toujours bien insuffisant. Pour permettre un réel changement, il faudrait intégrer l’environnement en tant que matière à part dans le cursus d’enseignement pour encourager les enfants sur cette voie mais je ne me fais pas d’illusion. Les moyens manquent cruellement. » S’immisçant dans la discussion, Iyed Gafsi, 11 ans, affirme : « Je veux rendre mon pays plus beau. » Et à Raouen Ben Amor, 11 ans, d’enchaîner : « En plantant des arbres, je sens que je me rends utile.» Nour Sebaï, 12 ans et Sahar El Ghanzour, 11 ans, veulent quant à elles attribuer de nouveaux noms aux arbres plantés. Empreints d’innocence, leurs mots témoignent de leur intérêt. Les jardiniers en herbe ont appris la leçon et ne sont pas prêts d’oublier l’intérêt de planter des arbres pour faire du bien à la nature et préserver l’environnement.

Le reboisement, un défi de taille

L’objectif, à moyen terme, de l’action de plantation d’arbres est de transformer le site longeant l’Oued sur une distance d’un kilomètre et demi, en parcours de santé. « Nous voulons faire de cette partie de la ville, jusque-là polluée par les activités des mécaniciens et des tôliers, un espace de détente et la transformer en superbe jardin urbain », affirme Chokri Jegham, vice-président de la municipalité de Hammam-Sousse et président de l’association tunisienne pour l’animation culturelle jeunesse et loisirs. Il ajoute : « Le rôle de la société civile est de sensibiliser les citoyens et à contribuer efficacement à l’amélioration de la qualité de vie dans notre commune. Grâce à l’appui de partenaires tels que l’Union européenne, nous pouvons y arriver ! »

D’après Abderrazak Mani, président du comité de la propreté, de l’hygiène et de l’environnement à la municipalité de Hammam-Sousse, le plan local de reboisement revendiqué par la population locale dans le cadre de la démocratie participative adoptée par la commune de Hammam Sousse, prévoit la plantation de 5000 arbres. Il explique les raisons de cette démarche : « Malheureusement, la région méditerranéenne est classée parmi les régions les plus vulnérables en terme de changement climatique malgré le fait qu’elle ne participe pas d’une façon très importante à ce phénomène par une émission très élevée de gaz à effets de serre. Planter des arbres reste un moyen efficace tout à fait à notre portée pour lutter contre le changement climatique et ses effets négatifs. »

Clima-Med : passez au vert !

Grâce au projet Clima-Med « Agir pour le climat dans le sud de la Méditerranée », huit municipalités tunisiennes ont bénéficié d’un soutien pour organiser des journées régionales de plantation d’arbres sous le signe « Passez au vert ». Financé par l’Union européenne à hauteur de 7 millions d’euros, ce projet s’étale sur quatre ans et couvre huit pays méditerranéens à savoir l’Algérie, la Jordanie, le Liban, le Maroc, la Palestine et la Tunisie. Amel Makhlouf, experte principale pour les pays du Maghreb du programme Clima-Med, explique que ces journées permettent de sensibiliser et d’impliquer les citoyens et les autorités locales, de manière concrète, dans les efforts globaux de protection de l’environnement et de lutte contre le changement climatique. Elle ajoute : « Cette initiative s’inscrit dans le cadre des activités de la COP 25. Nous avons tenu à associer, à chaque fois, les communes et la société civile locale à nos actions pour qu’elles prennent le relais par la suite et qu’elles s’impliquent totalement dans la mise en place de plans d’action efficients concernant l’énergie durable, l’environnement et la lutte contre le changement climatique. » « Clima-Med met l’accent sur l’appui des politiques et stratégies énergétiques durables tant au niveau local que national. Il fournit de même l’assistance technique afin de soutenir la formulation et la mise en œuvre des Plans d’actions en faveur de l’accès à l’énergie durable et du climat (PAAEDCs), qui seront conformes avec les principes de la Convention mondiale des Maires et qui conduiront à définir des actions concrètes mises en œuvre par les autorités locales dans le voisinage Sud », souligne-t-elle.

Le conseil du sage

Vers quatorze heures, tous les arbres sont plantés. Les enfants sont déjà rentrés, des étoiles plein les yeux. Les ouvriers municipaux prennent la relève pour buter la terre et tuteurer les arbres et arbustes afin de les mettre à l’abri des vents dominants. L’action de plantation d’arbres est un réel succès mais elle n’aurait pas eu lieu sans l’aide de Habib Bettaieb, professeur universitaire en génie mécanique, aujourd’hui retraité. Malgré la maladie, il a tenu à assister à l’évènement.

La voix rauque et l’air fatigué, il explique qu’une réelle menace pèse sur l’environnement. « Nous sommes tous concernés par ce problème mais heureusement, des solutions simples et efficaces existent. Toutefois, planter cinq mille arbres ne suffit pas. Il faudrait en planter cinq millions ! », s’enthousiasme-t-il. Malgré ses inquiétudes pour le futur, le professeur reste confiant. « La participation des enfants à cette action du dimanche me redonne espoir. Beaucoup de gens ignorent ce qu’il adviendra dans 50 ans mais engager les enfants en les faisant participer à pareilles initiatives est le meilleur moyen de s’assurer d’un avenir meilleur pour la planète et les générations à venir ! », conclut-il.

Lire en : عربي English