EBESM : Le projet qui contribue à l’intégration économique des femmes dans la région du sud de la Méditerranée

Avril 24, 2018
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Des femmes courageuses, sans diplômes, ni autres qualifications, partent d’une situation de non-emploi, avec des revenus familiaux modestes, sans avoir accès à un capital et prennent le risque de s’intégrer au marché du travail comme actrices économiques indépendantes. Malgré les défis colossaux, les embûches et les entraves, plus de 80% d’entre-elles ont décidé de continuer leur activité, de la développer et de persévérer même en cas de perte ou d’atteinte du seuil de rentabilité. Le projet « Amélioration de l’environnement des affaires dans la région sud de la Méditerranée » (appelé projet EBESM) qui vise à contribuer à l’amélioration du climat des affaires en faveur du  développement des micros, petites et moyennes entreprises (MPME) dans la région sud de la Méditerranée (MED), en ligne avec les meilleures pratiques internationales et européennes et qui est financé par l’Union européenne, tend à faire sauter les derniers verrous qui plombent encore leur décollage. 

En effet, les MPME forment l’épine dorsale de l’économie des pays MED, et sont les employeurs les plus importants dans la région. Cette situation est similaire au sein de l’Union Européenne. Par conséquent, aider les MPME à se développer devrait contribuer à plus d’emplois et à une croissance économique plus soutenue dans la région 

D’autant plus que le chômage, en particulier parmi les jeunes et les femmes, est un des problèmes les plus pressants dans cette région. Il s’agit ainsi, en se basant sur des données solides,  de mieux comprendre le potentiel que représenterait l’intégration des femmes dans la vie économique.  

C’est que le travail féminin fait face à des difficultés dans certains pays arabes pour être reconnu, formalisé et rémunéré et que les disparités persistent entre les genres, une femme qui travaille, c’est d’abord une entrepreneure qui ne compte pas ses heures, qui porte la responsabilité de petits investissements, qui doit relever quantité de défis humains, financiers, techniques et administratifs. Afin de valoriser le rôle de ces femmes entrepreneures et contribuer à une plus grande intégration économique, une enquête a été effectuée dans sept pays de la région sud de la Méditerranée (MED), à savoir l’Algérie, l’Egypte, la Jordanie, le Liban, le Maroc, la Palestine et la Tunisie. Cette enquête vise à recueillir des données empiriques  sur l’impact des politiques existantes en faveur du développement de l’entrepreneuriat des femmes et de par ce fait, contribuer à les renforcer.  

Un focus group organisé à un niveau sous régional (Tunisie, Algérie et Maroc), à Tunis, le 24 mars 2017, avec des participants qui font partie des ONG les plus actives œuvrant en faveur de l’entreprenariat des femmes, les organisations représentant le secteur privé, les associations professionnelles et les institutions publiques en charge du développement de l’entreprenariat des femmes, a été l’occasion de présenter les résultats préliminaires de cette enquête.  

L’enquête en question, qui s’inscrit dans le cadre de l’activité sur l’entrepreneuriat des femmes mise en œuvre par le projet EBESM, a ciblé des femmes non qualifiées et s’est déroulée de Novembre à Décembre 2016. 

Une nouvelle ambition 

Dans son intervention, Mme Marie Joe Char, Chef du projet EBESM, a mis l’accent sur ce que souhaite réaliser l’Union Européenne pour être au rendez-vous avec cette nouvelle ambition en faveur des femmes non-diplômées et contribuer activement à l’assistance de ces entrepreneures qui rencontrent  beaucoup d’obstacles et de défis pour développer leur entreprise. « Un sujet de la plus haute importance,  non seulement parce que nous sommes des femmes mais aussi parce que nous sommes des acteurs économiques. Nous avons à cœur le développement de nos pays, la création d’emploi, la distribution plus juste et plus inclusive de la richesse » a-t-elle indiqué.   

« Il s’agit de promouvoir l’intégration économique des femmes, de mieux les accompagner afin de leur permettre de développer leurs entreprises et de créer plus d’emplois. . Une nouvelle étape à même de reconnaitre et conforter le rôle de la femme entrepreneure, de lui donner davantage de confiance et de renforcer le sens de l’initiative afin qu’elle puisse assumer pleinement sa mission en tant que partenaire économique et sociale à part entière responsable de son avenir et de son devenir».  

Mais qui sont ces femmes? 

Dr. Toufic Gaspard, expert du projet, a brossé le profil de ces femmes, sur la base des indicateurs relevés par l’enquête. En effet, selon M. Gaspard, ces femmes entrepreneures, livrées à elle-même, représentent les deux tiers des femmes qui exercent pour leur propre compte.  Et de préciser qu’une femme sur sept est entrepreneure, malgré son statut précaire et souvent informel. Plus généralement, on observe que la majorité des femmes entrepreneures dans cette région sont en grande partie  de condition modeste. 

Il affirme que selon les résultats de l’étude, la grande majorité est formée par des femmes mariées, relativement jeunes (entre 35 et 40 ans), qui ont deux enfants ou plus à leur charge et qui travaillent plus de trente heures par semaine. « La grande majorité n’a aucune expérience, peu ou presque pas de richesse » assure-t-il. Ce qui est remarquable, c’est que malgré cette fragilité socio-économique, elles ont décidé de prendre le risque et de sauter dans l’inconnu. « Ce n’est pas un risque ordinaire comme on connaît dans le monde des affaires des pays développés, mais un risque de haute voltige comme des trapézistes sans filet » explique M.Gaspard.  

C’est que dans les pays arabes, celle qui devient entrepreneure, parmi ces femmes, est une personne qui cherche une alternative au chômage et à l’informel. C’est pourquoi malgré toutes ces limitations, ce n’est pas par goût du risque qu’elles se lancent dans les affaires, mais plutôt pour avoir plus de revenu et subvenir aux besoins familiaux.  

Dès lors, il devient important de comprendre les motivations réelles qui poussent ces femmes à essayer de voler de leurs propres ailes. Que font-elles comme activité ? « On commence par faire ce qu’on sait faire ou qu’on a appris sur le tas » souligne l’expert. C’est pourquoi, l’enquête relève que la caractéristique dominante des activités de ces femmes est soit manufacturière, soit une production élémentaire d’une variété d’articles d’artisanat. Elles s’installent à leur propre compte, parfois chez elles, gèrent leurs entreprises, qui sont composées de trois employés en moyenne mais qui sont tous membres de la famille, de façon très artisanale.  

Ces entreprises ont-elles réussi ? D’après les entretiens conduits en face à face, 30% de ces entreprises sont profitables et certaines d’entre-elles atteignent le seuil de 50%. Une énigme ou un paradoxe ? Comment se fait-il que malgré les limitations déjà évoquées, ces entreprises continuent à tourner ? La réponse réside dans le fait que la majorité des femmes entrepreneures ne touche pas de salaire, ni elles, ni leurs conjoints ou même leurs enfants qui leur prêtent main-forte. De plus, les  coûts de facteurs de production ou d’exploitation (loyer, eau, énergie, etc.), ne sont pas imputés  sur leurs livres comptables, lorsqu’elles opèrent à partir de chez elles. 

Dans le même sillage, Aïda Ben Achour, une artisane, qui a participé à cette enquête, a livré à l’assistance, les difficultés auxquelles elle a été confrontée quand elle a lancé  son projet qui a finalement mal tourné. A la recherche d’une nouvelle chance, elle lance un cri de détresse et demande de l’aide. Elle veut se lancer dans la distillation des plantes aromatiques et la vente des huiles essentielles mais se retrouve coincée à cause de la bureaucratie administrative. 

Quelle ambition pour ces femmes ?  

Cette situation irrite un peu Séréna Romano, une autre experte du projet. Pour elle ces femmes entrepreneures cherchent une distinction sociale. « Elles veulent devenir un acteur de société, mais elles sont en état de transition. A mi-chemin du monde des affaires, leurs relations avec l’entreprenariat sont tronquées ; pas de contrats, pas d’emprunts, ne payent pas de charges…La relation entre la personne et l’entreprise est encore fusionnelle et n’a pas atteint le stade de la séparation » explique Séréna. Pourtant, plus de 80% de ces femmes qui ont pris goût à l’entreprise veulent continuer l’aventure mais ont besoin d’accompagnement, de soutien et de formation, souligne-t-elle. C’est ce que dégage l’enquête comme constat, aussi.  

Les débats qui ont porté sur les résultats de l’enquête étaient focalisés sur les défis et les mesures à prendre en faveur de l’entreprenariat de cette catégorie de femmes. Les recommandations des groupes de travail ont porté sur la nécessité de procéder à la monographie des territoires de chaque pays en vue de créer un réservoir de potentialités.  

A cet effet, pour baliser la voie à la prochaine étape du projet EBESM qui porte sur l’instauration des mécanismes formels de dialogue public-privé, la sensibilisation, le renforcement des capacités, le plaidoyer,et au cours de laquelle les recommandations des focus groupes pays seront affinées sur la base du partage d’expérience. Les participants ont suggéré que les dispositifs d’emploi devraient être définis dans une logique de filière en vue de créer une chaîne de valeur. Sur un autre plan, la facilitation de l’accès au financement et l’élimination des obstacles liés au cautionnement et au problème de la garantie, ont été indiqués comme points cruciaux pour le développement des projets. La formation et l’accompagnement des femmes et un meilleur appui aux structures qui offrent ce genre de service aux femmes entrepreneures, est aussi un autre levier sur lequel il faut s’activer, ont-ils recommandé.  

Mais d’ores et déjà, à partir des résultats du rapport et de ces principaux constats, une assistance technique pourrait être fournie par le projet EBESM pour mettre en place un mécanisme de  dialogue public-privé afin de renforcer les politiques en faveur de l’entrepreneuriat des femmes. Cette assistance pourrait être mise en œuvre en coordination avec d’autres plateformes ou mécanismes de suivi existants tels qu’ONU-Femmes. 

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Développement durable