Guérir en temps de guerre: les organisations féminines se mobilisent en faveur des victimes de violences basées sur le genre en Libye

Juillet 8, 2020
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En pleine pandémie, les crimes non déclarés sont bien souvent plus occultés encore. Une situation qui laisse les victimes dans un état d’impuissance et de désarroi. En Libye, où le fléau de la violence sexuelle liée au conflit touche un nombre inquiétant de jeunes filles et de femmes, des organisations locales se sont élevées pour relever les défis critiques posés par la COVID-19 et éviter de subir l’impact préjudiciable de ce phénomène sur leur travail antérieur. Deux organisations de la société civile en particulier, l’ONG Al Bayan de Tripoli et l’Union des Femmes de Sabha, ont déployé des efforts encore plus importants pour continuer à fournir un soutien et une protection aux survivantes du CRSV, par le biais des Espaces sûrs pour les femmes et les filles de l’UNFPA. Ces organisations sont soutenues dans leur action par le Fonds fiduciaire d’urgence de l’UE pour l’Afrique (EUTF Africa) dans le cadre de ses activités de prévention et de réponse à la violence basée sur le genre (VBG).

Qui s’attendrait, en arrivant dans le centre de Sabha, petite ville du sud-ouest de la Libye, à tomber sur un groupe de femmes assises, en silence, concentrées sur leur respiration et leur paix intérieure ? Depuis que la guerre a éclaté en 2011, les habitants de la région ont rarement eu l’occasion de connaître une telle quiétude.

C’est sans compter sur les efforts inlassables d’un groupe de femmes de l’ONG Women Union, qui dirige l’espace de sécurité des femmes et des jeunes filles de Sabha, avec le soutien du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) depuis 2017.

Des ténèbres à la lumière

Le centre de Sabha offre un espace sécurisé où les femmes et les jeunes filles vulnérables bénéficient d’un soutien psychosocial lors de séances individuelles et collectives et échangent avec leurs pairs dans un environnement sûr et chaleureux. Les intéressées ont également accès à différentes séances de formation durant lesquelles elles acquièrent des compétences en rapport avec les moyens de subsistance et reçoivent des informations sur des questions liées aux droits et à la santé des femmes, et bénéficient également d’autres services.

« Le déplacement nous a tous logées à la même enseigne », déclare Zahra*, femme déplacée interne présente au centre. « Nous nous comprenons les unes les autres, nos cœurs sont les uns avec les autres, nous nous calmons les unes les autres, et notre compagnie nous apporte de la sécurité. » Pendant une heure et demie par jour, les femmes participent aux séances de soutien psychosocial, durant lesquelles elles partagent leurs traumatismes, leurs difficultés et leurs espoirs d’avenir en lieu sûr. « Nous pleurons et nous partageons nos peines ; nous pleurons les nôtres qui ont été tués pendant cette crise, nous pleurons la destruction de nos foyers. »

En juin 2020, plus de 401 836 personnes avaient été déplacées à l’intérieur de la Libye (PDI), dont une majorité de femmes âgées de 6 à 50 ans. Les PDI et les femmes et jeunes filles migrantes sont particulièrement vulnérables au viol, à la prostitution forcée et à d’autres formes d’exploitation sexuelle et de violence sexuelle liée au conflit.

 

Les survivantes

Face à la prise en charge limitée, voire inexistante, du problème, le climat d’insécurité, les conflits armés sporadiques et l’absence de législation ou de systèmes de lutte contre la traite des êtres humains dans tout le pays ont encore aggravé la situation. En conséquence, il est devenu de plus en plus difficile d’identifier et de protéger les victimes de la violence sexuelle liée au conflit, car les femmes et les jeunes filles craignent les persécutions, l’intimidation ou la stigmatisation liées à leur situation, ce qui fait que les crimes restent sous-déclarés ou impunis. « Comment donner un avenir à mes filles ? Je dépense tout mon argent pour survivre et reconstruire une maison, au lieu de le consacrer à leur éducation. J’ai peur pour elles – elles sont jeunes et jolies. Vous savez ce que cela signifie… » s’inquiète une mère divorcée de deux adolescentes qui fréquentent le centre après avoir été déplacées pour la troisième fois.

Dans ce contexte, les espace de sécurité des femmes et des jeunes filles de Sabha offrent un point d’entrée indispensable et sûr pour identifier les victimes de violences à caractère sexiste qui peuvent bénéficier d’une assistance et de soins vitaux et recevoir l’aide dont elles ont besoin pour franchir les différentes étapes de la guérison. Le soutien psychosocial que reçoivent les femmes contribue à leur autonomisation, en leur redonnant l’estime de soi et en les sensibilisant à leurs droits, séance après séance.

Au beau milieu des ténèbres, les centres constituent une source de joie pour les femmes et les jeunes filles qui s’y réunissent. « Nous rions des choses les plus insignifiantes. Nous nous entraînons à la méditation et nous prions Allah de nous rendre courageuses et de terminer cette guerre avec le moins de dégâts possible », explique Zahra.« Ils donnent la mort à l’extérieur, alors que nous créons la vie ici à l’intérieur », ajoute Farah, qui a été déplacée à l’intérieur du pays, lors des activités de l’un des espaces de sécurité des femmes et des jeunes filles de Sabha.

À ce jour, plus de 12 720 femmes et jeunes filles ont bénéficié des interventions de l’organisation à Tripoli et à Sabha. Ces interventions englobent un soutien psychologique et des services de protection en faveur des victimes de violences à caractère sexiste et des femmes et jeunes filles à risque, le renforcement de la résilience en facilitant l’accès des femmes vulnérables au marché du travail.

Plus fortes ensemble : les difficultés posées par la COVID-19 ne les effraient pas

Avec les mesures de confinement imposées par la récente pandémie, les associations de défense des droits de l’homme et de la femme ont mis en garde contre une augmentation de la violence à caractère sexiste, plus particulièrement en ce qui concerne la violence entre partenaires intimes/la violence domestique. Les femmes et les jeunes filles se trouvant déjà dans des situations de vulnérabilité/d’abus sont encore plus exposées à leurs agresseurs potentiels et disposent de solutions limitées pour bénéficier d’une aide. Afaf Elwalwal, fondatrice de l’ONG AlBayan qui gère le centre de Tripoli, le reconnaît : « Comme tout le monde, lorsque nous avons entendu parler du coronavirus pour la première fois, nous nous sommes tous inquiétés de l’impact qu’il pourrait avoir sur nous et sur nos communautés. »

À la suite de la mise en œuvre de mesures préventives liées à la pandémie de COVID-19 en mars 2020, les espaces de sécurité ont adopté des modalités de prestation de services à distance pour assurer la continuité des interventions de soutien psychosocial et de gestion des dossiers, ainsi que pour sensibiliser aux questions liées au genre par le biais des plateformes de réseaux sociaux. Toutefois, d’autres problèmes sont apparus. « AlBayan est un centre de services communautaires où nous organisons de nombreuses formations sur le renforcement des capacités et les moyens de subsistance pour les femmes et les jeunes filles, mais beaucoup de gens n’ont pas réussi à trouver de masques, de gants ou de désinfectants. Certains n’ont même pas pu se les payer », se souvient Afaf.

Désireuse de continuer à apporter son soutien à ces femmes en dépit des conditions de sécurité difficiles, l’ONG a appliqué la suggestion du FNUAP de former et d’équiper les bénéficiaires en vue de la fabrication de masques de protection faciale. « Cette initiative a été très bien accueillie, car AlBayan forme généralement les femmes à la couture dans le cadre de ses formations sur les moyens de subsistance », se remémore Afaf, expliquant que l’ONG a reçu les conseils d’une usine médicale locale qui leur a appris comment garder les masques désinfectés et sans risque.

Gagner le respect

En deux semaines, 15 femmes ont été formées et ont produit plus de 500 masques pour la communauté locale, les travailleurs de la santé et les migrants. Les chiffres n’ont cessé d’augmenter depuis, avec plus de 3 000 masques produits par les bénéficiaires d’AlBayan et de la Women Union conformément aux directives de l’OMS. « Pendant une crise, les individus sont plus vulnérables et il est important que les ONG prennent l’initiative de réagir. Nous mettons à profit des événements comme celui-ci pour toucher davantage de personnes dans les rues et leur parler des services que nous fournissons, ce qui nous a permis de gagner le respect de la communauté locale en tant que femmes affrontant l’épidémie de COVID-19 en Libye », conclut M. Afaf.

Cette action est mise en œuvre dans le cadre du volet « Afrique du Nord » du fonds fiduciaire d’urgence de l’Union européenne en faveur de la stabilité et de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière et du phénomène des personnes déplacées en Afrique (fonds fiduciaire de l’Union européenne pour l’Afrique), principal outil de l’UE pour les actions visant à soutenir les questions liées aux migrations en Libye.

Depuis sa création en novembre 2015, le fonds fiduciaire de l’Union européenne pour l’Afrique a mobilisé plus de 408 millions d’euros pour des projets dans toute la Libye, en mettant l’accent sur la protection et l’assistance, la stabilisation des municipalités et la gestion intégrée des frontières.

*Les noms ont été modifiés pour des raisons de confidentialité

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