Himaya (Protection): Pour une justice protectrice des enfants

Mai 25, 2018
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20.000 enfants par an sont en conflit avec la loi, plus de 7000 sont victimes de violence, 2000 sont pris en charge en vertu de la loi sur la Kafala (prise en charge des enfants abandonnés ou mis en institutions), 1000 enfants sont placés dans des centres de protection de l’enfance et 100.000 enfants sont globalement en contact avec la justice civile.

Afin de venir en aide à cette enfance en situation de vulnérabilité, aux enfants victimes ou témoins de violence ou qui sont en contact avec la justice pénale ou civile, le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF) a élaboré, avec l’appui financier de l’Union européenne, un projet intitulé « Himaya – Pour un meilleur accès des enfants à la justice » qui s’étend sur trois années (2016-2019). A travers un partenariat élargi avec le Ministère de la Justice au Maroc, la Présidence du ministère public, le Ministère de la Jeunesse et des Sports, ainsi que des organismes publics et des organisations de la société civile, le projet vise à amener le système judiciaire à répondre aux besoins des enfants qui sont en conflit avec la loi, à faire bénéficier les enfants victimes et témoins d’une protection conformément aux normes de la Convention internationale des droits de l’enfant et à préserver l’intérêt supérieur de l’enfant lors de l’application du Code du statut personnel et autres lois relatives à l’enfant.

La Fondation Amane pour la protection de l’enfance à Taroudant (FAPE) est une des associations partenaires du projet « Himaya » pour la mise en place de la composante « familles d’accueil » du projet Himaya. Selon Sophia Booth, une jeune britannique qui a rejoint la ville et la FAPE depuis près de deux ans et assure actuellement la coordination du programme « Osar Al Himaya » (Familles de protection) : “Ces enfants ont besoin de soins et de la chaleur d’une famille plutôt que d’être placés en institution”.

 

La Fondation a lancé une campagne de sensibilisation à Taroudant, Inezgane et Agadir pour sensibiliser les familles à l’accueil des enfants en conflit avec la loi et qui ont besoin d’une prise en charge familiale. La campagne qui est encore en cours a touché jusque-là 1600 personnes et a permis de convaincre 48 familles à présenter des demandes pour accueillir des enfants. 9 de ces familles ont bénéficié de sessions de formations et 2 parmi elles sont maintenant au stade final d’un processus rigoureux adopté par la FAPE avant de retirer un enfant des centres partenaires de la Fondation pour le placer en famille de protection.

Sophia ajoute également que : “ La Fondation Amane veille à confier les enfants à des personnes fiables ce qui nécessite de notre part de conduire des enquêtes et de recueillir des témoignages auprès des connaissances et des voisins des familles candidates d’autant plus que l’accueil des enfants est décisif ”.

Ce matin, au siège de la Fondation Amane, une demeure nichée dans les ruelles de l’ancienne ville de Taroudant, l’équipe de l’association composée, en plus de Sophia, de son président et de trois assistants sociaux (deux jeunes femmes et un jeune homme) s’est réunie avec Yemna et son mari Abdelhamid, et avec un autre parent qui tous désirent accueillir un enfant. Yemna et Abdelhamid semblent très heureux et Yemna nous a confié “avoir appris pendant la session de formation beaucoup de choses sur l’éducation des enfants et la manière d’agir avec eux”. Quant à Abdelhamid, il affirme fièrement : “Grâce à Dieu nous avons réussi à bien élever nos trois enfants, Selma a obtenu sa licence en économie et Sami poursuit ses études dans la même spécialité alors que le benjamin, Anas, va passer le baccalauréat cette année” et Yemna d’ajouter : “Maintenant que nos enfants sont grands, pourquoi ne pas accueillir un enfant qui a besoin d’une famille ? ”.

La Fondation veille à garder un contact permanent avec les magistrats et toutes les autres parties prenantes en matière d’enfance en difficulté pour que la réussite de son programme « Osar Al Himaya » serve à encourager les familles à prendre en charge les enfants en difficultés.

Non loin de Taroudant se trouve Agadir, capitale de la région de Souss-Massa, dans laquelle l’activité touristique en plein essor, l’agriculture moderne et les activités de pêche florissantes cohabitent avec la précarité sociale et les difficultés économiques d’un large pan de la société et où les premières victimes sont les enfants. Pour faire face à cette situation, plusieurs associations et centres d’accueil travaillent à côté des deux centres de protection de l’enfance relevant du Ministère de la jeunesse et des sports et qui font partie des principaux partenaires du projet « Himaya ».

Dans ce cadre, des éducateurs travaillant dans les deux centres ont bénéficié de sessions de formation sur les techniques de communication, la gestion des conflits et l’arbitrage assurées par des experts nationaux et internationaux sous la supervision technique de l’UNICEF.

Karim Hanfi, directeur du Centre de protection de l’enfance qui accueille des filles en situation difficile, nous a parlé de l’impact que ces formations ont eu sur les activités éducatives dans le centre et il a déclaré : “Les sessions de formation sont venues soutenir nos efforts visant à favoriser le débat et l’arbitrage pour le règlement des différends qui risquent de surgir entre les pensionnaires. Afin d’impliquer ces dernières, nous avons mis en place un Conseil composé de filles élues par leurs pairs qui est chargé de régler les différends et qui contribue à l’organisation des activités éducatives et sportives”.

Alors que les pensionnaires qui étaient dans la plupart des cas dans des situations difficiles et ont donc été placées par le juge dans le centre pour les protéger se répartissent sur les cours d’enseignement informel, la formation professionnelle et les écoles primaires et secondaires, la situation de Hanene semble différente : “Lors de mon placement j’étais en situation d’abandon scolaire, j’ai alors suivi les cours de la première année de l’enseignement informel. L’année d’après j’ai réussi à rejoindre la troisième année de l’enseignement primaire et j’ai poursuivi mes études jusqu’à ma réussite au baccalauréat. J’ai été agréablement surprise lorsque j’ai appris que l’Université internationale d’Agadir avait répondu favorablement à la requête présentée par le Centre pour m’accorder une bourse d’études ”. Il faut savoir que les études à l’Université où Hanene a été admise ont un coût élevé mais le plaidoyer des responsables du centre et l’ouverture de l’Université aux enfants en situation difficile lui permettent aujourd’hui de concrétiser son rêve. Hanene poursuit des études en économie et continue d’habiter au centre et y travaille aussi en tant qu’éducatrice adjointe.

Au centre de protection de l’enfance (garçons) mitoyen du centre réservé aux filles, Nawel Rais, la directrice, semble être la mère de tous les enfants. Elle ne cache pas toutes les difficultés que pose l’éducation des enfants lorsque les conditions ne sont pas très favorables mais parle également avec beaucoup de fierté de «ses enfants » qui ont terminé leur cursus de formation professionnelle et se préparent à quitter le centre vers de nouveaux horizons. Samir est l’un d’eux. Il a passé sept années dans le centre où il a appris un métier. Dans quelques mois, il va quitter le centre pour aller à Zakoura travailler dans une usine de conditionnement de fruits. Rachida, éducatrice au centre, a accompagné Samir lors de son séjour au centre et elle a bénéficié des sessions de formation organisées dans le cadre du projet « Himaya » sur l’écoute active centrée sur la personne et les techniques d’aide et de communication avec les enfants. Après nous avoir vanté toutes les qualités de Samir, elle a affirmé : “ La bonne écoute des pensionnaires et l’intermédiation honnête pour régler les différends donnent souvent des résultats concluants. Tant que nous donnons de l’amour aux enfants et tant qu’ils ne ressentent pas d’injustice, ils réagissent de manière positive ”.

L’association « Bayti » pour l’enfance en situation difficile est le troisième partenaire du projet « Himaya ». Elle a pris en charge, depuis sa création en 1995, près de 18000 enfants et son centre à Casablanca accueille au quotidien en moyenne 500 enfants en situation difficile. « Bayti » a choisi d’adhérer au projet « Himaya » à travers notamment le théâtre qu’elle utilise comme moyen de plaidoyer en faveur des peines de substitutions aux peines privatives de liberté dans le cas des enfants. En effet, une troupe de théâtre composée par les pensionnaires de « Bayti » fait actuellement des répétitions pour une pièce qu’elle présentera devant des magistrats et des responsables du secteur de la justice. Yamna Taltit, responsable à « Bayti » nous a résumé la pièce qui raconte l’histoire d’un policier qui arrête un enfant dans la rue et le conduit au tribunal. Lorsque le juge décide de le placer dans un centre de protection de l’enfance, l’enfant crie : “ Non, non, c’est contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant ”. Avec cette pièce théâtrale, les enfants porteront un message fort aux différents décideurs : un enfant ne doit pas vivre dans une institution.

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