L’école des plongeurs de l’extrême
L’Algérie, la France et l’Espagne mettent en œuvre un jumelage institutionnel pour « l’Appui au renforcement des capacités de la protection civile algérienne ». Lancé en janvier 2017, pour une durée de deux ans, ce jumelage a bénéficié d’un budget de 1,5 million d’euros de la part du Programme d’Appui à la mise en œuvre de l’Accord d’Association (P3A) entre l’Algérie et l’Union européenne. Les résultats attendus de ce jumelage sont l’amélioration de la prévention des risques, le renforcement des capacités opérationnelles des équipes de la Protection civile, l’amélioration de la compétence et de la cohésion des équipes par des actions de formations adaptées ainsi que le renforcement des compétences logistiques en tenant compte des aspects environnementaux lors de la réduction des désastres. Ce projet permettra, entre autres, de poser les jalons du futur Centre national de plongée de la Protection civile.
Lundi 2 juillet 2018, Bouzedjar, petit port de pêche de la région de Ain-Temouchent (500 km à l’ouest d’Alger). L’unité de la Protection civile de cette localité s’est transformée en centre opérationnel pour une mission inédite : identifier des sites aquatiques afin de former les futurs plongeurs d’élite. Trois formateurs européens et 6 plongeurs algériens de haut niveau prennent part à cette activité inscrite dans le cadre du jumelage pour l’Appui au renforcement des capacités de la Protection civile algérienne, financé par l’Union européenne.
En fait, Bouzedjar accueille, en ce début de juillet caniculaire, les premiers plongeurs algériens spécialisés en « surface non libre » (SNL), technique qui permet d’intervenir dans les grottes sous-marines et en milieu de spéléologie aquatique. Ces officiers sont appelés à devenir les formateurs du futur Centre national de plongée de la Protection civile.
La règle des tiers
Le hall d’entrée de l’unité a été transformé en salle de briefing. Au tableau, le lieutenant Hocine Fenane donne les instructions et présente le déroulé d’une plongée de reconnaissance. Objectif : visiter l’épave d’une frégate britannique coulée durant la seconde guerre mondiale. Les commandants de la Protection civile française Jean-Jacques Grenaud et Joël Auclair, ainsi que le commandant Victor Martin de la Guardia civile espagnole suivent avec attention les explications de l’officier algérien. Pour les trois formateurs européens, la conduite du briefing est un exercice d’apprentissage important. Il sera primordial lors de l’organisation d’une opération de secours.
« Notre mission consiste à nous rendre au niveau de l’épave pour une opération de reconnaissance et confirmer si le site pourra servir de lieu de formation pour les futurs élèves-plongeurs. Pour cette plongée, nous serons divisés en trois équipes de trois plongeurs chacune. Nous sommes tenus d’appliquer la règle des tiers qui consiste à conserver une quantité de gaz supérieure à celle utilisée pour l’aller-retour, comme marge de sécurité », indique le lieutenant Fenane.
Malgré une forte houle, la mission s’est déroulée sans encombre. Contre toute attente, la frégate ne pourra pas servir de site de formation. Le commandant Jean-Jacques Grenaud, Référent national des activités aquatiques et Hyperbare de la Sécurité Civile et directeur du Centre national de sauvetage nautique de la Protection civile française, fait un rapide bilan de la plongée. « Le bâtiment est trop abimé, il est impossible d’y entrer et de se déplacer dans les coursives. Une plongée « sous plafond » (autre nom de la SNL) ne sera pas possible pour former les futurs plongeurs dans ce site », explique-t-il. Cependant, d’autres pôles d’entrainements aux missions spéciales ont été identifiés dans l’Ouest algérien durant cette activité, notamment à Oran pour les interventions dans les grottes sous-marines et à Tlemcen en milieu spéléo.
Le spectre de Tham-Luang
Le commandant Grenaud travaille depuis une quinzaine d’années dans la mise en œuvre de plans de formations avec ses homologues algériens. « La Protection civile algérienne a engagé un plan de développement ambitieux en matière de formation de ses cadres. L’objectif étant d’aboutir à la création du Centre national de plongée, qui sera basé à Tipasa (75 kilomètres à l’ouest d’Alger) et qui se chargera de former des professionnels aptes à mener des opérations de secours dans différents types d’environnements. L’Algérie fait partie des pays de la Méditerranée et du continent africain qui ont pris conscience de l’importance de se doter d’unités de plongeurs de très haut niveau. Et cela va au-delà des principes de sauvetage, car en cas de catastrophe, ces professionnels devront également récupérer les corps des victimes. Sur les plans cultuel et culturel c’est un principe essentiel pour permettre aux familles de faire leur deuil », souligne Le commandant Grenaud.
Hasard du calendrier, cette activité d’identification des futurs pôles d’entrainement aux missions subaquatiques s’est déroulée au moment où un drame se déroulait en Thaïlande, à plus de 10 000 kilomètres de l’Algérie. Les treize enfants coincés, pendant deux semaines, dans la grotte de Tham Luang et leur sauvetage par une équipe de plongeurs spécialisés en Surface non libre est venu conforter le choix judicieux de la Protection civile algérienne.
« Ce qui s’est produit en Thaïlande est un événement exceptionnel du fait de son ampleur. Mais avec le développement du tourisme et l’engouement pour la spéléologie, nous devons nous tenir prêts à faire face à toute situation d’urgence », note le lieutenant Hocine Fenane.
Force 9
Etudiant en informatique de gestion, Hocine Fenane a quitté les bancs de l’université en 1992 pour rejoindre les rangs de le Protection civile. « Mon pays traversait une période tragique à cause du terrorisme, je me devais de le servir ». Enfant du quartier de Bab Djedid sur les hauteurs de la mythique Casbah d’Alger, il est orienté vers une unité de formation dès sa sortie de l’Ecole nationale de Bordj el Bahri.
Et c’est presque par hasard que le jeune officier découvre la plongée sous-marine lors d’un stage en 1998. « J’avais trouvé ma voie ! Mais j’ai très vite compris que je devais être persévérant et poursuivre les cycles de formation car la plongée comporte une multitude de spécialités. J’ai donc intégré la Fédération algérienne de plongée pour obtenir mon certificat de moniteur, puis une série de qualifications pour accéder à certains niveaux de profondeurs sous-marine ».
Le lieutenant Hocine ne tardera pas à mettre en pratique sur le terrain les connaissances qu’il a acquises. A commencer par novembre 2001, lors des terribles inondations de Bab el Oued qui ont fait plus de 700 morts. « La configuration du terrain a fait que certaines parties basses du quartier étaient inondées durant plusieurs semaines. Nous faisions des plongées pour rechercher les corps des victimes. Nous étions au mois de Ramadan, toute l’Algérie était en deuil. C’étaient des moments très difficiles », avoue l’officier.
Hocine poursuit avec succès les cycles de perfectionnement notamment en France au sein de l’Institut national de plongée professionnelle (INPP) de Marseille. Référent national plongée de la Protection civile algérienne, il a le statut de Conseiller technique et de moniteur 3e degrés. Les rangs les plus élevés en Algérie.
Le lieutenant Fenane maîtrise tous les aspects de son corps de métier : intervention, commandement et formation. « En fait, la Protection civile a toujours eu des plongeurs aguerris dans ses rangs. Notre génération en est la digne héritière. Je pense que nos compétences sont reconnues par nos confrères étrangers.».
Mais pour lui, le véritable défi consistera à transmettre toute l’expérience acquise aux futurs plongeurs.
Centres spécialisés
Le médecin-commandant Habi Karim, chargé des missions spécifiques, souligne l’importance du jumelage d’Appui au renforcement des capacités des services de la Protection civile algérienne, notamment dans ses axes consacrés à la réalisation de pôles d’entrainement aux missions spéciales.
« La formation de nos plongeurs a débuté depuis plusieurs années grâce, notamment, à deux programmes de renforcement de compétences de nos experts par la Protection civile française (Fonds de solidarité prioritaire). Le jumelage avec les institutions française et espagnole, financé par l’Union Européenne, nous permet aujourd’hui de poser les jalons du futur Centre national de plongée. Cela est également valable pour le Centre national de formation GRIMP (Intervention en milieu périlleux) qui sera installé à Tikdja, dans le massif du Djurdjura. Nous voulons que ces deux centres deviennent des établissements de référence au niveau régional ».
L’entrée en fonction de ces deux centres permettra à l’Algérie de former des professionnels aptes à prendre en charge un large spectre de risques.
Un avis que partage le colonel Pierre Launay, conseiller-résident de jumelage (CRJ). « C’est un programme ambitieux lancé par la Protection civile algérienne et que la France et l’Espagne sont chargées d’accompagner grâce à l’appui financier de l’Union européenne. Outre les aspects liés à l’entrainement aux missions spéciales, le jumelage compte 23 autres activités qui ont nécessité, durant ses deux années de mise en œuvre, la mobilisation de 140 experts européens ». Parmi les actions exécutées figurent la réalisation d’une étude comparative des textes réglementaires sur la prévention Algérie/UE, la rédaction du Référentiel national de dispositif prévisionnel de secours en Algérie, une étude sur l’Amélioration de la logistique médicale en temps de crise et présentation de la méthode européenne ainsi qu’un Guide d’évaluation du besoin d’aide humanitaire internationale.
Un des moments forts de ce jumelage a été l’EU-AL SEISMEEX 2018, un exercice de simulation international qui a regroupé, du 14 au 18 avril 2018, la France, l’Espagne, la Pologne, l’Italie, le Portugal, la Tunisie et l’Algérie. 1000 hommes (300 internationaux et 700 algériens) ont fait face aux conséquences d’un séisme de magnitude 7 qui a frappé la région montagneuse de Bouira (100 kilomètres à l’est d’Alger). Le scénario catastrophe a pris en compte tous les aspects d’intervention sur sept sites différents.
Selon l’officier français, « cet exercice de grande envergure a permis de tester l’interopérabilité et la coopération entre toutes les parties lors d’un séisme de forte puissance ».
L’apport du P3A
Le colonel Launay, en qualité de CRJ, avec son assistante la capitaine Rachda Zikara de la Protection civile algérienne, est chargé de tous les aspects administratif et logistique de ce jumelage. « La mise en œuvre et le suivi nécessitent une mobilisation continue de notre petite équipe. C’est un travail passionnant qui exige un engagement permanent ainsi qu’une parfaite connaissance des spécificités de notre domaine d’activité », assure-t-il. Sans l’Unité de gestion de programme qui coordonne les actions avec toutes les parties, notamment, le Programme d’Appui à la mise en œuvre de l’Accord d’Association (P3A) entre l’Algérie et l’Union européenne qui est entré en vigueur 2005, rien ne serait possible.
Le financement du jumelage est en effet assuré à hauteur de 1,5 million d’euros par le P3A. Géré par le ministère du Commerce algérien, « ce Programme a comme but d’appuyer l’administration algérienne et toutes les institutions contribuant à la mise en œuvre de l’Accord d’Association en apportant à celles-ci l’expertise, l’assistance technique et les outils de travail nécessaires pour le rapprochement des administrations ».
Au sein de la Délégation de l’Union européenne à Alger, ce jumelage est cité en exemple en matière de mise en œuvre. « Nous sommes face à des parties qui font preuve de professionnalité et de rigueur. Il existe une véritable coopération entre pairs, entre professionnels de corps constitués », insiste Marco Sioli, chargé de programmes de coopération à la Délégation de l’Union européenne d’Alger. Selon lui, ce genre d’initiative a le mérite de renforcer le partenariat entre l’Algérie et l’Union européenne et de l’élever à un niveau gagnant-gagnant. Jeudi 19 juillet, le Comité de pilotage s’est réuni pour dresser un bilan d’étape du jumelage à six mois de sa clôture. « Les résultats sont particulièrement positifs et le calendrier des activités a été respecté », signale le médecin-colonel Sahraoui Ammari en précisant, avec le sourire, que des économies budgétaires ont été réalisées.
Satisfecit également de la partie espagnole qui a mis en avant le partage d’expérience entre les experts espagnols et les membres de la Protection civile algérienne. « Un des points que nous aurons à discuter aujourd’hui est la possibilité d’obtenir une extension de la durée du jumelage », note Mme Silvia Negro Alousque. Une requête qui devrait être acceptée par le P3A du fait de la disponibilité des fonds.
Une décision qui permettra notamment aux plongeurs d’élites de la Protection civile algérienne de renforcer leurs capacités dans le but de participer activement à la formation des futurs sauveteurs de l’extrême.