À une époque où la fast fashion est devenue la norme, une entrepreneuse jordanienne prend le temps de donner une nouvelle vie à des articles usés. Avec le soutien du projet INNOMED-UP financé par l’UE, Yusra Al Ja’bari a lancé une initiative visant à transformer les tissus et les matériaux usagés en pièces artistiques de valeur, promouvant ainsi l’importance de l’économie circulaire et du développement durable.
Dans la province d’Irbid, au nord de la Jordanie, un projet financé par l’UE aborde les thèmes de l’économie circulaire et de la consommation responsable. Mis en œuvre dans le cadre du programme européen « Bassin Maritime Méditerranée » IEV CTF, le projet INNOMED-UP promeut le recyclage par l’innovation et l’éducation pour les industries créatives des villes méditerranéennes.
Compte tenu de la gravité de l’impact des déchets dans les villes méditerranéennes, dont une grande partie est produite par les industries culturelles créatives, le projet se concentre sur l’implication de 60 petites et moyennes entreprises et de plus de 3 000 personnes dans des programmes d’économie circulaire.
À Irbid, plus de 38 entrepreneurs et petites entreprises ont bénéficié du soutien du projet, ce qui leur a permis de retrouver une certaine stabilité après la pandémie de COVID-19. Obyda Hummash, directeur général de Future Pioneers, l’ONG locale chargée de la mise en œuvre d’INNOMED-UP en Jordanie, explique : « Ce projet est arrivé à point nommé, il vient accompagner les efforts que nous déployons déjà pour améliorer la vie des groupes vulnérables en Jordanie. Il a offert une chance unique de soutenir les personnes qui ont perdu leur entreprise à cause de la pandémie ».
Le projet proposait des sous-subventions à divers bénéficiaires, notamment des femmes travaillant à domicile, des universités et des petites entreprises. Tous ont proposé des idées innovantes pour contribuer à l’économie circulaire au sein de leur communauté locale. « Les projets que nous avons soutenus étaient aussi divers que l’imagination de leurs entrepreneurs. Certains étaient extrêmement novateurs », se souvient Obyda, citant des projets dédiés au recyclage des déchets d’abeilles, du bois, du verre et des feuilles de bananier, parmi bien d’autres.
« Il y avait même un projet qui transformait des vêtements usagés et du ciment en fontaines à eau. Je dois admettre que ça m’a laissé pantois, mais c’était tellement innovant ! se souvient le chef de projet.
En plus de leur fournir des outils de spécialistes tels que des presses à chaud ou des machines à coudre, le projet a organisé 12 jours de formation et de mentorat, adaptés aux besoins spécifiques des participants.
Une touche artistique à la durabilité : le recyclage créatif
Yusra Al Ja’bari est l’une de ces stagiaires. Yusra possède la personnalité emblématique d’une artiste créative, elle n’est jamais à court d’idées. Avec un dynamisme contagieux, la Jordanienne explique : « même si je ne suis plus très jeune, j’ai 39 ans, je me sens jeune ! J’ai constamment de nouvelles idées, je suis curieux et j’ai un esprit créatif. Cette occasion était faite pour moi ».
Avec INNOMED-UP, Yusra a trouvé un moyen de canaliser cette énergie débordante, en alliant son intérêt artistique à l’expertise de sa sœur Bushra en matière de couture et de stylisme. « En tant qu’artiste, j’ai toujours été très attachée à mes effets personnels, et je n’ai jamais aimé l’idée de jeter, en particulier les vêtements. Avec le soutien d’INNOMED-UP, j’ai réussi à trouver le meilleur moyen de garder ces vêtements et de leur donner une nouvelle vie et une plus-value », explique Yusra.
Elle a soumis une proposition de recyclage et de réutilisation de vieux vêtements et de tissus mis au rebut. Elle les transforme en articles à la mode et fonctionnels, tels que des sacs fourre-tout, des décorations d’intérieur ou des pots de fleurs.
En participant à la formation INNOMED-UP, Yusra dit avoir acquis une bien meilleure connaissance de la durabilité environnementale et s’être pris de passion pour l’économie circulaire. « J’ai appris à perfectionner mon travail afin d’utiliser au mieux les chutes de tissu. J’ai commencé à collecter les chutes des personnes autour de moi. Mon but était de minimiser les déchets de production et de maximiser la valeur de chaque pièce », souligne la créatrice, qui précise qu’en réutilisant de vieux textiles et en les incorporant dans ses créations, elle a réduit ses besoins en nouvelles matières premières.
Elle explique que la formation l’a également aidée à se familiariser avec les liens commerciaux et les stratégies de marketing, « ce qui a été crucial pour promouvoir mes produits et susciter l’intérêt du plus grand nombre ».
Pour Obyda, INNOMED-UP n’est pas seulement une aide financière ponctuelle, mais plutôt un soutien à la croissance à long terme et à la durabilité des entrepreneurs. Elle souligne « [croire] en l’établissement de relations durables avec nos bénéficiaires. Nous assurons un suivi par mentorat, nous les aidons pour la communication et le marketing, et nous organisons même des salons pour présenter leurs produits ».
L’antenne de Future Pioneers à Irbid est devenue un pôle d’information pour les nouveaux entrepreneurs. Un groupe WhatsApp a été créé dans le cadre du projet, et ces esprits créatifs restent en contact, favorisant la collaboration et le soutien continu.
Place au durable : objectif informer
Si l’entreprise de Yusra a gagné du terrain auprès de ses amis et de sa famille grâce aux réseaux sociaux, elle aspire à toucher un public beaucoup plus large. Malgré la difficulté de promouvoir des pratiques durables, en particulier dans les villages autour d’Irbid, elle garde espoir.
« Nous avons besoin de plus de temps. Nous devons organiser plus de campagnes. Je sais que je n’arriverai pas à sensibiliser toutes ces personnes seule, mais au moins à présent, je sais comment convaincre ; il me suffit de leur montrer l’impact réel du déversement de déchets et le danger à long terme de ces comportements », explique Yusra.
Forte de cette mission, elle envisage de s’engager auprès des organisations communautaires locales et des ONG, afin d’encourager les gens à conserver leurs biens ou à en faire don plutôt que de les jeter.
En sensibilisant les gens aux effets néfastes du déversement de déchets et aux avantages du recyclage créatif, Yusra est convaincue qu’elle peut contribuer à faire évoluer les mentalités et à promouvoir une approche plus réfléchie de la consommation.