Elles sont étudiantes, employées ou enseignantes. Elles sont libyennes et tentent de se frayer un chemin vers la liberté, dans un pays miné par la guerre. Elles ont choisi de ne pas fuir mais plutôt de militer en faveur des droits de la femme, pour une citoyenneté d’égale à égal avec les hommes. Faisant fi des réticences d’une société patriarcale et bravant tous les obstacles, elles se sont engagées au sein d’associations pour renforcer le rôle des femmes dans la société civile, encore embryonnaire dans ce pays, pour faire bouger les lignes.
Grâce au projet EU4PSL, financé par l’Union européenne et mis en oeuvre par Expertise France, elles ont pu bénéficier d’une formation en développement des compétences pour la société civile libyenne. Ce projet vise à soutenir le rôle des jeunes et des femmes dans l’économie libyenne et à réaliser l’autonomisation des femmes à travers l’appui à l’entrepreneuriat.
Ibtissam Al Qusbi
Ibtissem est originaire de la ville de la Zaouia. A 40 ans, elle est mère de quatre enfants. Titulaire d’une licence en sciences informatiques, cette universitaire a rejoint la société civile en 2011 en adhérant à l’association « 17 février pour la femme et les droits de l’enfant ». Cet engagement bénévole lui vaudra de subir plusieurs interrogatoires de la part des milices de Kadhafi, en mars 2011. Mais elle s’est rapidement détournée de cette association qui reléguait la femme à un simple rôle secondaire. Entre temps, se sentant en danger après le déclenchement des hostilités armées dans son pays, Ibtissem est momentanément partie vivre en Tunisie.
En 2016, elle a créé l’association « Parcours pour la paix et le développement » à Tunis. Son objectif est de doter les femmes libyennes des compétences requises pour qu’elles puissent jouer pleinement leur rôle dans l’instauration de la paix et le développement. « Les femmes libyennes qui ont commencé par le secours et la prise en charge des orphelins de la guerre, sont aujourd’hui avides de formation et commencent à investir les autres champs d’activités civiles tels que le plaidoyer pour la parité », souligne-t-elle. Elle cite par exemple la campagne « Avec 30 on débute », qui vise à garantir un seuil de présence d’au moins 30% pour les femmes dans les conseils municipaux et dans les postes de direction dans les autres institutions gouvernementales. Pour elle, le handicap majeur qui entrave le parcours des femmes est le manque de confiance qui est accordé à leur potentiel. Elles sont encore considérées, à tort, comme incapables de créer, de diriger ou de décider. Ibtissem fustige d’ailleurs cette « présence de façade » accordée aux femmes qui ne sont là, la plupart du temps, que pour jouer un rôle de figuration. Mais Ibtissem est optimiste pour l’avenir : « Bien que de façon très modeste, la mentalité a commencé à changer grâce aux efforts déployés par des femmes tenaces et désormais on la retrouve aussi en politique où elle mène plusieurs campagnes de plaidoyer. »
Safa Ahmad Bouzgeya
Originaire de Benghazi, cette célibataire de 34 ans est assistante de projet bénévole au sein de l’association « Fab Lab Libya », fondée en 2017. Ingénieure télécom, Safa n’a pas pu exercer son métier tout simplement parce qu’elle est une femme ! « Personne n’accepte d’employer une femme dans un domaine soi-disant réservé aux hommes. », s’indigne-t-elle. Aujourd’hui, Safa occupe un poste au sein du NRC, le Conseil Norvégien pour les Réfugiés. Cheffe de projet, elle y assure des consultations juridiques. Pour compenser cette frustration, elle a trouvé dans la vie associative une échappatoire.
« Les femmes sont actives dans la société civile beaucoup plus que les hommes. Presque toutes les associations en Libye sont présidées par des femmes », explique-t-elle. « La société civile est importante et me procure un certain équilibre dans la vie. J’y tisse des relations sociales plus étoffées que je ne peux pas avoir dans mon univers professionnel », affirme-t-elle. Elle déplore quand même que plusieurs facteurs entravent encore l’épanouissement de la femme en Libye « Jusqu’à maintenant, une femme seule ne peut pas voyager seule. Elle n’a pas le droit de participer aux réunions car elle risque de rentrer tard. Le monde a évolué mais la mentalité libyenne s’est dégradée. », livre-t-elle.
Aïcha Al Seddiq
Présidente du conseil d’administration de l’association « Justice et piété civile, Morzek», Aïcha énumère les raisons qui l’ont poussée à s’engager pleinement dans la vie associative. « Après 2011, on a assisté à l’effondrement de l’économie. A cause d’un manque de cash, les hommes refusaient de travailler gratuitement dans la distribution des aides qui affluaient en Libye. Des femmes se sont portées volontaires pour acheminer ces aides. On a donc recensé les gens qui ont besoin des aides pour les livrer. D’où l’idée de fonder une association qui se charge de cette activité », rapporte fièrement Aïcha. « C’était notre première expérience associative avant de participer à d’autres activités comme la participation aux élections de 2012, avec des campagnes de sensibilisation et la formation de 20 observateurs », explique-t-elle. « Il n’y a pas d’associations spécialisées donc on touchait à tout », ajoute-t-elle.
Evoquant son cursus, elle révèle qu’elle est ingénieure civile mais qu’elle ne travaille pas dans son domaine. « Je suis cadre administratif dans une entreprise publique », affirme-t-elle. « C’est le seul poste qu’on peut accorder à la femme. Dans un bureau ou dans une école, mais certainement pas sur le terrain », dit-elle d’un ton révolté. « La femme libyenne souffre de la prédominance de règles sociétales machistes instaurées par les familles ou les tribus. Tout déplacement par exemple n’est permis qu’avec un accompagnateur homme, parent ou époux », rouspète-t-elle. « La guerre a compliqué les choses mais la femme a démontré sa capacité à aider et à pouvoir et vouloir changer. Il faut encore plus mobiliser de femmes pour militer pour la cause féminine. », conclut-elle.
Moufida Alnasri
Membre de l’association « Justice et piété civile, Morzek», Moufida est employée au secteur public. Elle explique son engagement dans la vie associative : « J’ai voulu consacrer une partie de mon temps pour aider mes concitoyens », indique-telle. « Je pilote le programme Ryada au profit des femmes qui veulent lancer leurs propres projets et être économiquement indépendantes », souligne-t-elle. Pour elle, c’est un plaisir d’accompagner les femmes dans leurs premiers pas vers l’autonomisation. « Cette expérience associative m’a ouvert d’autres perspectives. Sur le plan personnel, je me sens plus utile, plus épanouie et j’ai acquis de nouvelles compétences », assure-t-elle. « La femme libyenne, malgré la conjoncture défavorable, est capable de se différencier et d’étonner. Avec la fin de la guerre, elle pourra conquérir une meilleure place », lance-t-elle avec un grand sourire.
Fatima Al Naihoum
A 22 ans, Fatima est étudiante. Elle relate son expérience au sein de l’association « Hexa connections », fondée en 2013 qui se charge du développement technologique et du renforcement des capacités des femmes dans la société. Basée à Tripoli, elle oeuvre pour un meilleur engagement de la femme dans le monde des affaires par le biais de formations et de campagnes de sensibilisation. Fatima a intégré cette association en 2018 comme volontaire et dispense également des cours d’anglais, dans les écoles pour les réfugiés.Elle veut changer le modèle éducatif en Libye et son objectif est de répandre l’utilisation des nouvelles technologies dans le secteur de l’éducation et de lutter contre la discrimination entre les genres à l’école. « On accorde plus d’attention aux élèves garçons dans l’enseignement car la plupart des professeurs pensent qu’après les études, les filles doivent rester chez elles », révèle-t-elle avec un pincement au cœur. Elle avoue avoir beaucoup évolué grâce à son engagement associatif. « J’ai pu valoriser mes compétences en termes de communication et d’engagement », arbore-t-elle fièrement.
Bien que son expérience au sein de la société civile lui ait permis de s’épanouir et qu’elle estime avoir positivement évolué, elle pense qu’il lui reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour pouvoir déployer ses ailes. Ce chemin, de même que celui des toutes les femmes libyennes, est encore parsemé d’embûches. « Le mariage forcé, le harcèlement, la parité et la liberté d’expression sont autant de combats à mener », estime-t-elle. « Il y a des prémices de changements mais il reste beaucoup à faire. La révolution a donné à la femme libyenne une marge de liberté plus grande mais il n’y a pas de garantie. Une fois la situation normale rétablie, il faudra encore veiller à renforcer et consolider la position de la femme au sein de la société », conclut-elle avec une note d’espoir.
Ce reportage est produit en collaboration avec la Délégation de l’Union européenne en Libye et Expertise France.