Par une douce soirée, on peut observer au coucher du soleil un phénomène inhabituel au sommet du Djebel Zaghouan dans l’est de la Tunisie. Deux ministres plantent leur tente, accompagnés par des artisans locaux et des propriétaires de petits commerces, tous prêts à observer les ombres orangées recouvrir les paysages à couper le souffle de la vallée.
Nous sommes le 26 juin 2024 et le TransTunisia Trekking Trail (4T) a officiellement débuté. Cette initiative lancée en octobre 2022 a fait du chemin et voit aujourd’hui les représentants du gouvernement et la communauté locale se rassembler pour observer les étoiles depuis ce campement.
« C’était un vrai défi pour nous : faire en sorte que la communauté locale non seulement accepte mais adopte ce projet et se l’approprie », se souvient Fatma Ben Nour, directrice nationale chez Leaders International, l’ONG derrière 4T.
La valorisation par l’écoute : Mettre les communautés locales en avant
Cet ambitieux projet mis en œuvre par Leaders International en partenariat avec GIZ Tunisie vise à promouvoir l’écotourisme en Tunisie, avec le soutien de l’Union européenne et de BMZ dans le cadre du programme Tounes Wijhetouna. En créant « un sentier de randonnée de classe mondiale qui attirera les touristes friands d’aventures du monde entier », l’initiative 4T promet non seulement une expérience de plein air unique, mais entend également stimuler l’économie locale, préserver l’environnement et encourager l’engagement communautaire.
« Un des objectifs premiers du projet 4T est d’attirer à la fois des voyageurs nationaux et internationaux dans des régions moins desservies du nord de la Tunisie, de Kerkouane à Tabarka en passant par Aïn Draham, Le Kef, Zaghouan et Sidi Jedidi », explique Fatma.
Inspiré par l’épique Jordan Trail, 4T propose quatre sentiers balisés s’étendant sur 450 kilomètres. Une myriade d’activités est proposée le long de ces sentiers : randonnée, cours de cuisine, escalade, promenade à dos d’âne et vélo de montagne. Elles comprennent également des expériences culturelles et gastronomiques afin de préserver les traditions locales.
« Au début, la population locale était très sceptique, pour ne pas dire farouchement opposée à l’idée, parce qu’ils avaient vu tellement de projets tenter de s’implanter pour exploiter la région, sans prendre en compte ses réalités et ses besoins », se souvient Fatma. Elle note également qu’en s’engageant auprès des communautés locales, 4T a permis d’assurer que les bénéfices du tourisme alternatif aient un impact positif sur celles-ci, en dynamisant les petites et moyennes entreprises et en créant plus d’emplois dans les milieux ruraux.
« Le projet 4T nous a montré l’importance d’impliquer les communautés locales et de travailler à leur rythme », déclare Fatima, citant l’exemple de Mohamed El-Komsi, directeur général de Zaghouan Aventure.
Il partage son expérience : « Nous étions des touristes comme nos clients : nous sommes passionnés par les sports de montagne et nous avons décidé de lancer notre entreprise d’aventure pour donner vie à ces rochers grâce aux sports de montagne. »
Selon lui, le projet 4T a créé une dynamique importante au Djebel Zaghouan en rassemblant tous les prestataires de services, ce qui aurait été impensable dans les années 90.
« Une économie à part entière a vu le jour dans la région et nous accueillons aujourd’hui des touristes venus du monde entier, notamment des grimpeurs, des spéléologues et des familles », se réjouit le jeune entrepreneur.
Des circuits de trekking qui ont un but
Après un travail approfondi sur le terrain, le projet a développé un site internet et une application mobile afin de promouvoir les différents segments du sentier et les expériences associées. Répondant aux préoccupations des communautés locales, 4T s’est attelé à développer un projet qui attire non seulement les touristes mais qui profite également à la population de manière durable et sur le long-terme.
« Le projet 4T ne se limite pas à créer des randonnées, il met également l’accent sur la durabilité économique », souligne Fatma. En offrant un renforcement ciblé des capacités et un soutien aux micro, petites et moyennes entreprises (MPME) dans le domaine des services touristiques, le projet a favorisé la croissance économique locale. L’hébergement, le transport, la restauration et la production d’objets locaux font partie des secteurs bénéficiant d’un soutien substantiel.
Un artisan d’Aroma Oil Care, une des « expériences » proposées sur les sentiers, raconte : « Le projet nous a permis de créer un espace où les visiteurs peuvent découvrir nos traditions. Il a diversifié nos activités et amélioré considérablement l’expérience des visiteurs. Nous proposons à présent des ateliers de collecte et de distillation de plantes, offrant une expérience unique et éducative à nos invités ».
Selon Katrin Gerhard, responsable du volet de promotion du tourisme durable chez GIZ Tunisie, l’initiative 4T a déjà soutenu 77 expériences de tourisme durable dans plusieurs gouvernorats, « et nous étendons ce soutien à 23 autres dans le sud ».
Des maisons d’hôtes et des restaurants locaux comme le « Dar Zriba », un centre d’activités touristiques, ont également été à l’avant-garde de ce nouveau sentier d’aventure. Alliant « le charme du passé et le confort d’aujourd’hui », le propriétaire affirme que Dar Zriba met en avant une cuisine traditionnelle et locale en « faisant voyager les visiteurs à travers des saveurs ancestrales, en proposant des évènements conviviaux, des loisirs et des espaces pour résoudre des soucis de la vie quotidienne ».
La durabilité au cœur du projet
Les environnements préservés qui jalonnent le sentier ont également pour but de faire prendre conscience aux visiteurs de l’importance de sauvegarder l’héritage et les ressources naturelles de la Tunisie. Grâce à son équipe d’experts, le projet 4T assure un suivi rigoureux des activités touristiques afin de garantir un impact minimal sur l’environnement.
Comme le souligne Mohamed El-Komsi en riant : « de nombreux visiteurs s’interrogent sur l’absence d’engins à moteurs sur les lieux. On leur répond que “nos muscles et de l’huile de coude sont nos engins !” ».
Tout comme la société Zaghouan Aventure, les entreprises 4T se sont engagées dans des politiques environnementales durables. Des mesures sont en place afin de gérer les déchets, réduire l’empreinte carbone et protéger les milieux naturels. Ces efforts sont primordiaux pour maintenir l’équilibre écologique et assurer que la beauté naturelle de la Tunisie reste intacte pour les générations futures.
« Le jardin de Gaïa », une ferme agroécologique et table d’hôtes située à Ain Asker, cherche à sensibiliser les visiteurs au développement durable en leur proposant « une immersion dans un paysage rural préservé ». « Nous proposons des activités comme des promenades à dos d’âne et des cours de cuisine et nous proposons des plats 100 % “slow food”. À travers cette cuisine maison, nous faisons découvrir aux visiteurs une nouvelle manière de goûter et d’apprécier les spécialités culinaires tunisiennes. »
Pour Fatma, c’est là que la collaboration avec les autorités entre en jeu. « Elle a permis de maintenir un équilibre entre le développement du tourisme et la durabilité écologique. Nous avons créé un environnement où les visiteurs peuvent profiter de la beauté naturelle sans compromettre son intégrité pour les générations futures. »
Dans l’avenir, les responsables du projet espèrent obtenir davantage de financement et prévoient d’étendre les sentiers pour proposer des expériences de randonnée plus complètes. « Notre objectif est de faire du circuit 4T une référence en matière de tourisme durable en Tunisie », déclare Fatma.
Son équipe travaille également sur des programmes de certification pour les commerces locaux afin d’améliorer leur expertise et la qualité de leurs services. « Obtenir une certification est une étape primordiale pour ces jeunes entrepreneurs qui ont commencé à développer leurs projets après 2011. Elle leur permettra d’être reconnus et de garantir un service de qualité pour les touristes ».