Asma Mokhtari s’est servie de son accès à un incubateur financé par l’UE pour fonder son entreprise sociale dans le secteur de la mode pour enfants, « Asma by am », et contribuer à l’autonomisation des femmes actives dans l’artisanat et le stylisme.
Penchée sur le coin d’une table, Asma Mokhtari encourage sa collègue Sarah à poursuivre son travail, en lui montrant où piquer l’aiguille sur un long morceau de tissu rouge. Soumia, une couturière d’Alger âgée de 34 ans, les aide à maintenir le carré de coton en place.
« Ce que j’apprends au contact d’Asma est incomparable par rapport à ce que j’aurais appris dans une entreprise de plus grande envergure. Elle est très méthodique et organisée, et j’apprends à mettre de l’ordre et de la discipline dans mon travail », explique Soumia, entrée au service d’« Asma by am » deux ans plus tôt.
Cette start-up de prêt-à-porter a été créée en 2020 par Asma Mokhtari, une entrepreneure sociale de 31 ans, qui croit au pouvoir de l’entrepreneuriat pour renforcer l’autonomie des femmes. « J’ai grandi entourée de couturières. C’était le métier de ma mère et de ma tante, et j’ai toujours été fascinée par la mode. Mais j’étais également tristement consciente des difficultés qu’il y avait à nouer les deux bouts dans ce secteur, en particulier en Algérie », se souvient-elle.
C’est pour cette raison qu’Asma a décidé de suivre la voie traditionnelle et d’étudier l’architecture à Alger. « Les études supérieures dans le domaine du stylisme, ça n’existe pas en Algérie. Vous devez donc vous débrouiller et sortir des sentiers battus. Je n’étais pas prête à me lancer dans l’aventure, et je n’avais surtout pas le cran », admet-elle.
Muée par son désir d’aider la communauté, elle propose ses services à l’Algerian Centre for Social Entrepreneurship (ACSE) et organise des séances de formation sur l’entrepreneuriat social. « Cela m’a permis d’assister à des formations, d’apprendre auprès de formateurs, avant de devenir formatrice moi-même », se rappelle Asma, tout en insistant sur le fait que, pour elle, « l’apprentissage et la pratique tout au long de la vie sont essentiels. On n’arrête jamais de s’instruire et de se former au contact des autres ».
Sauter le pas : de l’incubateur à la création d’une société
L’ACSE est l’un des sept incubateurs et accélérateurs soutenus par le projet SAFIR financé par l’UE dans le cadre de ses structures d’accompagnement à l’entrepreneuriat innovant (SAEI). Mis en œuvre dans neuf pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, le projet SAFIR vise à instaurer un écosystème régional favorable au développement de projets à impact social, culturel et environnemental.
« L’ACSE est un pionnier de l’entrepreneuriat social, qui soutient les projets apportant une solution novatrice aux problèmes sociaux et environnementaux que connaît l’Algérie », explique Meriem Benslama, directrice de l’ACSE. Elle souligne que le lancement du premier incubateur algérien d’entrepreneuriat social en 2018 avait pour objectif de permettre à de jeunes entrepreneurs sociaux, comme Asma, d’« agir positivement en faveur de leur pays en mettant sur les rails des projets à impact social ».
Forte de ce soutien, Asma s’est finalement sentie prête à sauter le pas et s’est inscrite à un programme de formation en confection. « L’idée d’Asma by am avait déjà germé, mais elle était encore en gestation. Je voulais aussi m’assurer que cette aventure ne me mettrait pas dans une situation financière instable, qui ne me permettrait pas d’offrir des conditions de travail décentes à mes collaborateurs. C’est là que l’idée de la mode pour enfants m’est venue. »
Au cours de ses six mois passés dans l’incubateur, Asma a appris à formuler des propositions de valeur, à mener des études de marché et à tester des prototypes avec des échantillons de clients potentiels. Et elle s’est formée à la finance. Encore et encore ! « Il ne faut pas se précipiter dans les incubateurs. Je pense sincèrement qu’il faut prendre le temps de découvrir dans quel domaine on a besoin de soutien et d’y réfléchir minutieusement. Moi, j’ai rejoint le programme SAFIR parce que j’étais consciente de mes lacunes dans les domaines financier et de la gestion », souligne Asma. Et elle ajoute qu’elle n’a jamais perdu de vue son objectif initial, qui était « d’utiliser mes compétences pour aider les femmes et en retirer quelque chose de positif ».
Et la jeune entrepreneure met en garde : si vous n’avez pas de plan d’entreprise digne de ce nom, avec des tableaux, des prévisions et des coûts détaillés, vous mettez vos employés en péril et vous compromettez la qualité de votre marque.
Apprenez à une femme à réfléchir à la conception et elle travaillera toute sa vie
Asma by am, « la première marque éthique employant des couturières dans la région de Blida et d’Alger », comme elle se qualifie elle-même, se targue de créer des vêtements traditionnels pour enfants de première qualité.
« Nous voulons aider nos clients à consommer moins en leur proposant des produits de haute qualité, qui durent très longtemps », explique la styliste. Et à en croire les clients satisfaits qui partagent ses créations sur les réseaux sociaux, l’objectif est atteint. « La qualité est impeccable et les modèles très raffinés », écrit une mère qui a commandé une blouse pour ses enfants. « On sent l’amour et la passion qu’elle met dans chaque point », ajoute-t-elle.
Un attachement que confirment les employées d’Asma, à qui elle a enseigné plusieurs compétences grâce auxquelles elles ont appris à faire valoir leurs droits en matière de travail et sont ainsi devenues plus autonomes. « Je les aide pour la couture, mais en plus, je leur apprends comment obtenir leur carte d’artisan, qui leur donne droit à la retraite, à des avantages, et même à trouver un nouveau travail », fait-elle remarquer.
Kenza et Halim, toutes deux la soixantaine, ont déjà profité de cette aide pratique lorsqu’elles ont dû prendre leur retraite pour des raisons de santé. « Ce qui m’importe, c’est de donner à mes employées les moyens de développer leur propre projet, de penser de manière créative et d’utiliser les outils modernes auxquels elles n’ont pas eu la chance d’accéder du fait de leur origine modeste. »
Outre ses employées, Asma forme aussi d’autres stylistes et entrepreneures, comme Sarah Ourezifi, une créatrice de mode d’Alger âgée de 23 ans. « Pour moi, Asma by am est bien plus qu’une marque, c’est une école en soi », nous confie-t-elle avec émotion.
« Asma est l’une des meilleures personnes et entrepreneures dans le domaine de la mode que je connaisse. Elle ne travaille pas uniquement pour arriver à ses fins, elle n’a de cesse d’aider et de former les autres. C’est rare, surtout dans le monde de la mode. »
Consciente de l’environnement difficile dans lequel elle doit évoluer, Asma se montre proactive et garde l’espoir d’insuffler ce changement, qu’elle estime indispensable, dans le mode de production et de consommation des vêtements. « Je sais bien que je ne vais pas en découdre avec la mode éphémère du jour au lendemain, toute seule dans mon coin. Mais je participe au combat en donnant aux travailleuses, aux consommateurs et aux entrepreneurs les outils pour connaître leurs droits et croire en leurs capacités. »
SAFIR est un projet ambitieux en faveur de la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) et de l’inclusion sociale de la jeunesse de neuf pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Cofinancé par l’Union européenne, il vise à créer un environnement propice à l’engagement citoyen des jeunes et au développement de projets entrepreneuriaux ou médiatiques à impact social, culturel ou environnemental.
Le projet repose sur trois piliers : le soutien à plus de 1 000 jeunes porteurs de projets ; la structuration et le développement d’un réseau régional d’acteurs de l’accompagnement ; et la création d’espaces de dialogue entre la jeunesse et les pouvoirs publics.
L’Algerian Centre for Social Entrepreneurship a été fondé en 2016 pour promouvoir l’entrepreneuriat social et soutenir les entrepreneurs sociaux algériens dans la création, le développement et le maintien de leur activité.
L’ACSE est un pionnier de l’entrepreneuriat social, qui soutient les projets apportant une solution novatrice aux problèmes sociaux et environnementaux que connaît l’Algérie. Dans cette optique, l’ACSE a lancé en 2018 le premier incubateur algérien d’entrepreneuriat social, dont l’objectif est de permettre à de jeunes entrepreneurs sociaux d’agir positivement en faveur de leur pays en mettant sur les rails des projets à impact social.