Dans la région tunisienne de Kasserine, Yasmina Bouafia a défié les traditions en reprenant la ferme familiale et en la transformant en un modèle de durabilité. Grâce au programme ADAPT, financé par l’Union européenne, elle a obtenu les fonds nécessaires pour moderniser ses terres et introduire des pratiques respectueuses de l’environnement. Avec un budget total de 70 millions d’euros, ADAPT transforme le secteur agricole tunisien en aidant des agriculteurs comme Yasmina à accéder au financement et à bâtir un avenir plus résilient.

Yasmina Bouafia est une jeune agricultrice originaire de Majel Bel Abbès, un petit village du gouvernorat tunisien de Kasserine. Sur les 15 hectares de la ferme familiale, on cultive des pistaches, des amandes, des olives et des légumes comme les tomates. Mais l’histoire de Yasmina ne se limite pas à la terre qu’elle a héritée : c’est aussi celle d’une femme qui a redéfini ce que signifie être agricultrice, fille et leader.

Ayant grandi dans une société où les femmes cèdent souvent leur héritage agricole à leurs frères, Yasmina a fait un choix audacieux. Après le décès de son père, elle a décidé d’assumer la principale responsabilité de l’exploitation familiale. « Ma motivation pour lancer ce projet, c’est le décès de mon père », dit-elle, la voix chargée d’émotion. « J’ai démarré ce projet pour continuer à me sentir proche de lui, connectée à lui. J’ai l’impression qu’il est aussi impliqué dans ce projet que moi. »

Munie de son diplôme en agronomie et d’un profond désir d’honorer la mémoire de son père, Yasmina a investi toute son énergie dans la relance de la ferme. Elle a contracté un prêt pour financer un premier plan d’irrigation, creuser des puits et préparer les terres à la culture. Mais les fonds se sont vite épuisés. Lorsque le projet s’est arrêté, Yasmina a craint que ses rêves ne s’évanouissent. C’est alors qu’elle a découvert le programme ADAPT.

Une bouffée d’oxygène pour la croissance

Le programme ADAPT a marqué un tournant décisif pour Yasmina. Conçu pour soutenir le développement durable de l’agriculture tunisienne et de la pêche artisanale, le programme lui a offert à la fois un financement et une aide précieuse face aux procédures administratives complexes.  « ADAPT a tout changé, car il n’a pas seulement aidé ou soutenu – le projet n’existerait même pas sans ce programme », affirme Yasmina.

Grâce au soutien d’ADAPT, Yasmina a pu contracter des prêts complémentaires et finaliser son plan de financement. Elle a utilisé les fonds pour investir dans des infrastructures essentielles : construction, équipement et électrification d’un local de stockage d’aliments avec un réservoir de stockage en géomembrane, installation d’un réseau d’irrigation goutte-à-goutte sur 8 hectares, et plantation de variétés locales d’amandiers, de pistachiers et d’oliviers. Ces investissements ont non seulement permis d’assurer la survie de l’exploitation, mais ont aussi transformé la ferme en modèle de résilience et de durabilité face aux défis climatiques.

Le soutien d’ADAPT a également permis à Yasmina d’introduire des pratiques innovantes, comme le compostage des excédents de production et des déchets post-récolte pour produire de l’alimentation animale. Ce système en circuit fermé réduit au minimum les déchets tout en contribuant à l’autosuffisance de la ferme. Pour Yasmina, ces avancées ne représentent pas seulement un progrès agricole : elles incarnent une approche globale de la durabilité, parfaitement en accord avec sa formation académique et sa philosophie personnelle.

Cultiver le changement

En tant qu’ingénieure agronome, l’approche de Yasmina en matière d’agriculture va bien au-delà des rendements et des profits. « J’ai étudié les ODD à l’université », explique-t-elle, « j’ai étudié la durabilité, les besoins des plantes et comment travailler d’une manière qui respecte la terre et tout l’écosystème. » Cette attitude distingue Yasmina dans un secteur où l’on privilégie souvent le profit à court terme au détriment de la santé environnementale à long terme. « Pas moi », affirme-t-elle avec conviction.

La relation de Yasmina à son travail est à la fois émotionnelle et intellectuelle. Son amour pour son père, son lien à la terre et son expertise scientifique nourrissent sa passion. Mais elle est également pionnière dans un autre sens : elle dirige un projet agricole dans un secteur dominé par les hommes. En Tunisie rurale, les femmes représentent la majorité de la main-d’œuvre agricole, mais sont minoritaires parmi les propriétaires. Yasmina est en train de changer cette réalité.

Sa ferme emploie exclusivement des femmes issues de sa région, contribuant ainsi au développement économique et social local. « J’espère créer une dynamique de développement et de prospérité ici », dit-elle. « Je veux être en harmonie avec l’écosystème, pas seulement sur le plan écologique, mais aussi social et économique. »

ADAPT : combler le déficit de financement dans l’agriculture

Le programme ADAPT (Appui au Développement durable dans le secteur de l’Agriculture et de la Pêche artisanale en Tunisie) a entraîné de profonds changements pour les agriculteurs et les pêcheurs artisanaux en Tunisie. Financé par l’Union européenne avec un budget de 70 millions d’euros, il est mis en œuvre par l’Agence italienne de coopération au développement (AICS), en partenariat avec le Programme alimentaire mondial (PAM).

ADAPT adopte une approche novatrice et durable, visant à garantir la sécurité alimentaire, l’autosuffisance et la gestion responsable des ressources. Il mise sur l’investissement privé comme levier de changement économique, social et environnemental. L’objectif est de soutenir plus de 8 200 exploitations agricoles et activités de pêche artisanale d’ici 2028, incluant agriculteurs, petites entreprises et coopératives dans toutes les régions de Tunisie. Les femmes et les jeunes sont au cœur du programme : 15 % des bénéficiaires sont des femmes et 26 % ont moins de 35 ans.

ADAPT joue un rôle clé dans l’accès au crédit, notamment pour les agriculteurs et les pêcheurs qui rencontrent souvent des difficultés avec les banques traditionnelles.
Marion Piccio, experte en communication du programme, explique : « On a souvent des agriculteurs ou des pêcheurs qui veulent se développer, mais n’ont pas accès au crédit, et ce n’est pas facile avec les banques. »

Pour combler ce fossé, ADAPT évalue la faisabilité et la durabilité de chaque projet avant d’accorder un soutien financier. Le programme s’assure que chaque projet respecte trois piliers fondamentaux : durabilité environnementale, économique et sociale. Une fois le projet validé, ADAPT facilite l’accès aux banques et fournit l’apport propre nécessaire, pouvant couvrir jusqu’à 14 % du montant du prêt demandé, ce qui améliore considérablement les chances d’obtention du crédit. « La banque voit que le financement initial est en place, et qu’ADAPT vérifie et garantit la durabilité du projet. Cela rend l’accès au financement bien plus facile », ajoute Marion Piccio.

En assurant ce soutien financier et cette validation, ADAPT permet à des agriculteurs comme Yasmina Bouafia de développer leurs projets. L’accent mis par le programme sur la durabilité correspond parfaitement à la vision de Yasmina : celle d’une exploitation qui prospère tout en respectant l’écosystème.