Dans les collines tranquilles de Mafraq, Tafilah et Ajloun, en Jordanie, un bouleversement est en train de s’opérer. Il ne s’agit pas d’un projet d’infrastructure traditionnel ou d’une initiative économique. Non, un changement est en marche, et il a lieu à l’intérieur des maisons, des centres communautaires et des cliniques locales.
C’est le résultat du projet « Awareness is Power », mis en œuvre par le programme jordanien de lutte contre le cancer (Jordan Breast Cancer Programme – JBCP) avec le soutien crucial de l’Union européenne dans le cadre de l’initiative REAYAH, implémenté par AECID.
Lancé dans le but de sensibiliser aux cancers les plus courants chez les femmes, le projet a laissé une marque indélébile sur les communautés locales de Jordanie. Au-delà de ses objectifs immédiats d’éducation et de sensibilisation, il a également favorisé l’autonomisation économique, encouragé l’entrepreneuriat chez les femmes et suscité un débat plus large sur la santé des femmes en Jordanie.
Des « héroïnes locales » pour la sensibilisation au cancer dans toute la Jordanie
Le cœur de l’initiative « Awareness is Power » se trouve entre les mains de femmes de la région qui sont devenues des championnes de l’éducation à la santé. Le programme, qui travaille avec 45 organisations communautaires, a sélectionné et formé des volontaires au niveau local pour qu’elles deviennent des spécialistes de l’éducation à la santé. Ces femmes remarquables, dont beaucoup n’avaient jamais été en position d’influence auparavant, sont aujourd’hui les porte-parole de leur communauté en matière de sensibilisation au cancer.
L’une d’entre elles, Fatima Al Omari, partage son expérience lors des séances de sensibilisation, ce qui a permis de faire avancer les mesures visant à sauver des vies.
« Grâce à ce programme, j’ai pu améliorer mes compétences à délivrer des messages de santé liés à la prévention et à la détection précoce du cancer. Avec d’autres pédagogues, nous avons pu sensibiliser des femmes vivant dans des zones reculées qui n’auraient peut-être pas eu accès à ces informations vitales ».
Le modèle de formation du projet était très rigoureux. Dans le cadre d’une série d’ateliers et d’activités, 73 éducateurs communautaires ont été formés. Ainsi, ils ont pu donner 3 400 conférences ciblées et effectuer plus de 1 500 visites à domicile.
« Le programme a concentré ses efforts au niveau local, en employant des agents de santé communautaires (ASC) pour dialoguer avec les femmes à leur domicile. Parallèlement, des campagnes nationales de masse touchant plus d’un million de personnes dans tout le pays ont permis de sensibiliser la population au dépistage précoce et à la prévention du cancer », explique Rasha Fakheraldeen, responsable de la communication au Jordan Breast Cancer Program/King Hussein Cancer Foundation and Centre.
Zones reculées : une initiative qui sauve la vie des femmes
Si les centres urbains de Jordanie ont un meilleur accès aux soins de santé, c’est dans les zones rurales et reculées que l’initiative « Awareness is Power » a eu le plus d’effet transformateur. Les femmes de ces régions sont souvent confrontées à des obstacles importants en matière de soins de santé, que ce soit en raison de l’isolement géographique, des normes culturelles ou d’un manque d’information sur les services disponibles.
Consciente de cette réalité, l’Union européenne a contribué à la réalisation d’études visant à évaluer l’impact du programme et à mieux comprendre les positions du public sur la prévention du cancer en Jordanie. « Ces études ont révélé des éléments cruciaux, tels que les obstacles sociaux et culturels qui empêchent les femmes de recourir aux services de dépistage précoce. Elles devraient permettre aux futurs projets de cibler ces facteurs plus efficacement », explique Francesc Vila Pala, gestionnaire de programme à AECID, l’Agence espagnole de coopération internationale pour le développement chargée de mettre en œuvre l’initiative REAYAH.
À Ajloun, dans le nord de la Jordanie, une infirmière associée au programme a fait état d’une hausse de la demande d’examens des seins et de frottis dans sa clinique, grâce aux efforts de sensibilisation.
« En l’espace de quelques mois, notre clinique a réalisé 62 frottis et 18 mammographies, des tests vitaux qui étaient rarement demandés avant le lancement du programme JBC », se réjouit-elle.
En diffusant des informations essentielles sur la prévention du cancer dans les foyers les plus isolés, la JBC a également permis à des jeunes femmes dans des régions reculées de s’émanciper.
Hala*, une jeune Syrienne exclue du système éducatif formel, a été sélectionnée comme agent de santé communautaire dans le cadre du programme. Au début, elle avait du mal à assimiler le contenu technique et à suivre le rythme de la formation. Mais elle a réussi non seulement à terminer la formation, mais aussi à exceller en la matière. Elle possède à présent d’excellentes connaissances techniques, et c’est une très bonne communicatrice.
« Aujourd’hui, elle est un membre actif de l’équipe ASC. Elle est vraiment formidable dans son rôle et inspire la confiance aux autres », déclare Rasha.
De l’incertitude à la confiance : vers des communautés autonomes
Le parcours de Hala reflète l’objectif plus large du projet : armer non seulement de connaissances les femmes, mais aussi leur donner l’assurance nécessaire pour faire la différence au sein de leurs communautés.
Alors que le soutien de l’UE au projet touche à sa fin, la jeune volontaire Rania* nous fait part de sa passion pour son travail : « J’ai rejoint cette initiative car je voulais sensibiliser les femmes de ma communauté à l’importance d’un dépistage précoce et régulier du cancer ».
« C’est valorisant de savoir que mes actes peuvent contribuer à sauver des vies ».
Le travail de Rania, aux côtés de dizaines d’autres jeunes volontaires, a consisté à organiser des événements publics, à mener des séances d’éducation entre pairs et à aider plus de 3 000 personnes à participer à des activités communautaires. Journées médicales gratuites, bazars, concours, tous ces éléments ont contribué à sensibiliser la population aux maladies non transmissibles, tout en offrant des opportunités économiques aux femmes de la région.
« En donnant aux femmes de la région les moyens d’éduquer et de promouvoir la santé, et en créant des opportunités pour les jeunes de s’engager dans un travail enrichissant, le programme a favorisé un sentiment de responsabilité qui perdurera longtemps après la fin de la dernière campagne de sensibilisation », affirment les représentants de la JBC.
Comme le dit Fatima Al Omari : « Ce programme ne nous a pas seulement apporté des connaissances, il nous a aussi montré le pouvoir dont nous disposons pour faire la différence au sein de nos communautés. Ensemble, nous sensibilisons la population et nous sauvons des vies ».
*Les noms ont été modifiés pour des raisons d’anonymat.