Lancé en 2015, le Programme d’appui à la diversification de l’économie du secteur de la pêche -DIVECO 2 a pour objectif d’augmenter la diversification économique de l’Algérie à travers le développement durable et l’amélioration des performances économiques du secteur de la pêche. Le programme s’est articulé autour d’une série d’activités au profit des acteurs du secteur de la pêche et de l’aquaculture portant sur le renforcement des organisations et groupements professionnels, le contrôle sanitaire, la gestion portuaire, la conchyliculture ou encore l’évaluation du cadre juridique national. Diveco2 a permis de mettre en œuvre plusieurs missions d’appui dans des domaines très précis dont le ramendage.
« La formation des ramendeuses a été initiée au terme d’un diagnostic sur les activités de réparation des filets. Des experts du Programme ont mené une étude socioéconomique sur ce métier spécifique dans 28 ports et abris de pêche », explique Nadia Bouhafs, Directrice Nationale du Programme Diveco2. L’étude a soulevé la question du renouvellement de la profession et la nécessité de mettre en œuvre un programme de formation. « Disposant d’une école de pêche et d’un port important, Cherchell a été choisie comme région-pilote pour le lancement de cette formation. Le métier de ramendeur est essentiellement masculin, mais l’opportunité de former des femmes a pu se concrétiser car il y avait une réelle demande. L’idée était de transmettre ce métier en formant des ramendeuses qui deviendraient à leur tour formatrices », ajoute Nadia Bouhafs.
« Mouiller les bottes… »
Karima Daïkhi est fière de ses mains rugueuses. Cette mère de famille de 53 ans passe la grosse aiguille plate entre les mailles du filet, fait un nœud et coupe le fil d’un coup sec. Sourire aux lèvres, elle reproduit machinalement ce geste sous le regard de Bouchra Salah, enseignante à l’Ecole de formation technique de la pêche et de l’aquaculture de Cherchell.
Karima est ramendeuse. Elle fait partie d’une trentaine de femmes de la région qui maîtrisent les techniques de réparation des filets de pêche. Sa vie, marquée par des épisodes tragiques, est intimement liée à la mer. « Mon mari possédait un chalutier à Cherchell. Il a été assassiné durant la décennie noire par des terroristes en 1994. D’ailleurs je ne sais toujours pas comment j’ai échappé à la mort ce jour-là », raconte-t-elle.
Du jour au lendemain, la vie de Karima et de ses enfants a basculé. La jeune mère de famille qui n’avait jamais travaillé auparavant a dû se retrousser les manches et multiplié les petits boulots pour nourrir ses enfants. « Un jour, je suis allée voir la famille de mon époux pour demander la part mensuelle de la pêche qui revient de droit à nos enfants. Ses frères ont refusé. Ils m’ont juste dit : « Celui qui veut manger du poisson doit mouiller ses bottes ».
Les prenant au mot, Karima s’est lancé un défi : devenir marin-pêcheur. « En 2006, je me suis présentée avec l’aîné de mes enfants à l’Ecole de pêche. J’ai raconté mon histoire et on m’a autorisé à suivre une formation de matelot ». La mère et le fils ont réussi, avec brio, à décrocher leur fascicule, précieux sésame qui leur permet de prendre la mer à bord d’un bateau de pêche. Karima est revenue à l’école en 2016 pour suivre la formation de ramendage initiée dans le cadre du programme d’Appui à la diversification de l’économie du secteur de la pêche et de l’aquaculture (Diveco2). « Mes enfants ont aujourd’hui leur propre bateau, « un espadonnier » comme on l’appelle ici. Quant à moi, je m’occupe de la réparation des filets. Je reste persuadée qu’il est possible, pour nous, les femmes, de bien gagner notre vie en pratiquant cette activité très lucrative à plein temps », souligne Karima.
Féminisation de l’activité
Wahid Salah, directeur l’Ecole de formation technique de la pêche et de l’aquaculture de Cherchell a activement participé à l’implication des femmes dans ce programme de formation. « Par le passé, c’était l’épouse du pêcheur qui réparait le filet lorsqu’il revenait de la mer. Mais cela se faisait dans un cadre familial. En Algérie, le ramendage se pratique encore de manière traditionnelle, sur les quais. Le port reste un lieu masculin, mais il est possible d’aménager des espaces afin de permettre aux ramendeuses de travailler sans être gênées » précise-t-il. Véritable professionnel de la pêche, Wahid Salah croit en la féminisation de l’activité de réparation des filets. « Le développement du secteur de la pêche passe par la professionnalisation de l’activité de ramendage. Il ne suffit pas de faire des nœuds pour réparer ces outils de pêche. Encore faut-il maîtriser certaines techniques pour qu’ils restent efficaces même après réparation. Les femmes sont, généralement, patientes et consciencieuses et ce sont là les deux qualités essentielles du ramendeur ».
Une expérience fructueuse
Le ramendage, Malika Salhi souhaite en faire son métier. Couturière de formation, elle encourage ses amies qui ont suivi la formation à créer une coopérative de ramendeuses. « Grâce à Diveco2, nous avons été formées à la création et la gestion d’entreprises. L’idéal serait, à ce stade, de nous regrouper et de créer une coopérative. Nous pourrions ainsi mettre à profit nos connaissances et offrir des services de qualité aux pêcheurs de la région. La demande est très importante. Certains patrons de pêche viennent de très loin pour réparer leurs filets car la main d’œuvre est inexistante dans leur région ».
Nadjet Belhoundja soutient, elle aussi, l’idée de la création d’une coopérative de ramendage. « C’est un projet rentable mais nous n’avons pas les moyens de le mettre sur les rails. L’idéal serait d’avoir un atelier à proximité du port pour y travailler entre femmes. Pour y parvenir, nous devons nous unir et faire preuve d’engagement. Ce n’est pas évident car nous sommes des femmes au foyer et n’avons pas d’expérience en matière d’entreprenariat », reconnaît Nadjet.
Espoir et détermination
Mais l’espoir est toujours permis surtout que le port de Cherchell pourrait prochainement abriter le premier espace de ramendage totalement féminin. C’est l’idée d’Abdelkader Chenaa, maître ramendeur, qui a entrepris des démarches auprès de l’Entreprise de Gestion des Ports et Abris de Pêche afin d’obtenir un espace pour implanter cet atelier. « J’ai récemment appris que l’Ecole de pêche de Cherchell avait formé des ramendeuses. C’est une main d’œuvre précieuse et une bonne opportunité de travail ». Abdelkader reçoit des filets de nombreuses régions du pays, il avoue être souvent dépassé par les commandes. Selon lui, un bon ramendeur peut percevoir jusqu’à 100 000 dinars algériens par mois (environs 500 euros).
Ramendage: un succès à perpétuer
Le succès de l’activité de ramendage et de la formation des femmes à Cherchell a encouragé à la Direction générale de la pêche et de l’aquaculture, bénéficiaire du programme Diveco2 financé par l’Union européenne, à reproduire cette expérience. A Beni Ksila, des ramendeuses ont aussi été formées et sont en activité depuis quelques mois. A Jijel, des personnes en situation de handicap ont bénéficié de la même formation et maîtrisent désormais l’art de réparer des filets. Mais qu’en est-il des ramendeuses de Cherchell ? Elles ne sont pas oubliées pour autant. La DGPA prévoit, en effet, de les soutenir dans leurs efforts en vue de créer leur propre coopérative. « Nous comptons accompagner ce groupe de femmes formées au ramendage à l’EFTPA de Cherchell dans le but de créer un réseau à but lucratif. Elles sont capables de participer, activement, au développement durable local et d’appuyer le développement de la pêche et l’aquaculture dans cette région. En tant qu’institution officielle, nous nous devons apporter notre contribution afin de faciliter l’insertion professionnelle de ces femmes », affirme Taha Hammouche, Directeur général de la pêche et de l’aquaculture.
A Cherchell comme ailleurs, les professionnels de la mer savent que la réussite d’une pêche dépend en grande partie du travail du ramendeur. Un filet mal réparé peut compromettre une opération de pêche. Karima, Malika et Nadjet en sont conscientes. Les ramendeuses de Cherchell sont prêtes à faire face à cette lourde responsabilité.