Lorsqu’une société perd tous ses repères en raison d’une pandémie mondiale sans précédent, la meilleure solution consiste à recourir à l’inventivité et à la détermination des individus. Un groupe de jeunes entrepreneurs libyens a relevé ce défi, en créant une application éducative innovante qui fait le lien entre les écoles de Benghazi et les parents.
Ces derniers mois, la pandémie de COVID-19 a plongé tous les pays de la planète dans l’incertitude, les contraignant à s’adapter à des changements sans précédent et à s’aventurer en terrain inconnu. En Libye, où la guerre civile qui sévit depuis dix ans a déjà ravagé la plupart des infrastructures publiques, trois jeunes amis ont saisi l’occasion pour renverser la situation et soutenir un système éducatif déjà mis à mal.
« Lorsque les écoles ont fermé pour une durée indéterminée à partir de mars 2020, et vu le recours trop rare à la technologie dans le secteur éducatif libyen, nous avons réalisé que le potentiel de l’éducation en ligne serait très limité ici », explique Tufahah Amin, l’un des trois fondateurs de « Panda », une application mobile d’apprentissage en ligne qu’elle a co-créée avec Aziza Al-Hassi et Amine Kashroud. Les trois amis, tous originaires de Benghazi, ont décidé d’adapter leur jeune start-up « AFnan Company » à la situation du moment, en se concentrant sur l’éducation en ligne. « Nous nous sommes toujours intéressés à la technologie au service de l’éducation, c’est pourquoi nous avons décidé de fonder une petite entreprise en premier lieu, afin de favoriser la création d’emplois dans ce milieu difficile et de générer des retombées positives dans la société », se souvient Aziza.
Grâce au Campus Tatweer Entrepreneurship, fondé avec le soutien de l’Union européenne, du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et de Tatweer Research, le trio a bénéficié d’une subvention spéciale pour lancer son entreprise en 2017. « Nous souhaitions développer des produits proposant des solutions techniques au secteur de l’éducation, tout en contribuant à améliorer le niveau d’éducation grâce à la technologie en Libye », explique Aziza, en référence à leur première application en ligne « School Connect » développée en janvier 2018.
Cette plateforme électronique avait pour but de mettre en relation les enseignants et les parents afin de suivre l’éducation des élèves, en se concentrant plus particulièrement sur les aspects comportementaux et académiques clés de la vie scolaire de leurs enfants. « Il est fréquent que les informations relatives au comportement et aux résultats scolaires d’un élève ne parviennent pas à ses parents. Notre plateforme favorise le partage de ces informations entre l’école et les parents », explique Tufahah, qui ajoute que « notre service résout également de multiples problèmes rencontrés par l’école, car il permet de réduire la plupart des tâches administratives redondantes auxquelles les employés de l’école doivent se soumettre, en plus d’aider l’école à se libérer des dépenses de bureau habituelles telles que la consommation de papier, l’impression, etc. ».
School Connect offre aux parents une plateforme qui leur permet d’accéder à toutes les informations relatives au parcours scolaire de leurs enfants, y compris les rapports administratifs, les rapports des enseignants, les évaluations comportementales, etc. Ils ont également accès à une application de messagerie directe avec l’assistant social de l’école, qui leur permet de suivre les derniers développements scolaires de leur enfant.
Accompagner la société dans le changement
Cependant, les jeunes entrepreneurs étaient conscients des difficultés à surmonter, car l’application constituait un tout nouveau concept d’entreprise en Libye. « Nous n’étions pas vraiment convaincus que les administrations scolaires et les parents adhéreraient à cette méthode, et nous craignions qu’ils ne se montrent réticents devant cette solution technologique avancée », se souvient Aziza. « Les Libyens n’ont pas l’habitude d’utiliser des plateformes en ligne autres que les réseaux sociaux comme Facebook et Instagram. Nous savions qu’ils seraient dans un premier temps effrayés par toute nouvelle application ou tout nouveau système et qu’ils en viendraient à la conclusion habituelle que “les nouveaux systèmes sont trop compliqués” », explique Amine. « Nous étions cependant déterminés à amorcer le changement, car nous partagions tous l’idée qu’il s’agissait d’un progrès indispensable pour le marché libyen ».
Pour résoudre ces problèmes, les entrepreneurs ont entrepris d’organiser des sessions et des séminaires dans les écoles locales afin de sensibiliser les parents aux avantages de l’application. Ils ont également mis à disposition des parents une application électronique gratuite à télécharger sur leur téléphone et leur ordinateur. « Nous avons organisé 40 ateliers et 65 sessions de formation à l’attention des écoles dans 30 des plus grands établissements d’enseignement de Benghazi. Nous voulions que les parents et les enseignants comprennent comment utiliser correctement l’application, mais aussi qu’ils se sentent épaulés tout au long du semestre », poursuit Amine. Le trio a entamé une période d’essai au début de l’année scolaire 2018-2019, ciblant 200 élèves répartis entre deux écoles, dont le nombre est rapidement passé à plus de 2 000. « Cette phase nous a permis d’étudier les effets de l’application et les résultats se sont révélés très positifs : ceux-ci ont fait apparaître une nette amélioration du niveau des performances des élèves, et les parents se sont également montrés très satisfaits », déclare Amine, en précisant que le nombre de comptes de parents enregistrés a atteint un maximum de 1 653.
Adel Al-Kwafi, l’un des parents qui utilise l’application, partage ce sentiment. « Panda est une application formidable : elle nous permet de nous faire une idée précise du parcours scolaire de nos enfants. Certains enfants ont tendance à dissimuler les mauvaises notes à leurs parents, mais grâce à cette application, il est devenu plus facile de suivre les progrès de nos enfants ». Au cours de la période d’essai, quelque 50 000 rapports éducatifs et comportementaux ont été envoyés aux parents, 8 500 messages ont été échangés entre les écoles et les familles, et 300 annonces ont été communiquées directement aux parents. Mohamed Al-Busaifi, directeur de la Talented Center School, l’une des écoles utilisant l’application, salue l’initiative : « Panda renforce de manière durable l’engagement des parents envers l’école. Les parents obtiennent toutes les informations sur la scolarité de leur enfant directement sur leur téléphone portable. L’idée est lumineuse et elle nous a permis de communiquer beaucoup plus facilement avec les parents ».
School Connect 2.0 : s’adapter à la pandémie
En tirant les enseignements positifs et négatifs de la période d’essai, l’équipe a considérablement amélioré le produit, le rebaptisant « Panda », car « School Connect » était trop difficile à prononcer par les utilisateurs. Au cours du premier semestre de l’année scolaire 2019-2020, l’équipe a été en mesure de lancer la nouvelle application, cette fois-ci pour un montant nominal annuel de 50 dinars libyens (26 euros) par enfant.
Avant la pandémie de COVID-19, l’application comptait 6 000 élèves inscrits dans 30 écoles de Benghazi, ce qui représentait 100 000 rapports, 690 annonces et plus de 10 400 messages directs entre les écoles et les parents.
« Il est évident que nous avons dû nous adapter aux circonstances difficiles lorsque la pandémie a éclaté. Nous avons donc travaillé sur une version de Panda qui pouvait s’adapter à cette nouvelle situation », explique Tufahah. Panda 2.0 ou « Panda E-Learning » a donc été créé pour offrir un apprentissage en ligne aux étudiants confinés à domicile, en fournissant un contenu pédagogique gratuit, disponible en téléchargement sur n’importe quel appareil.
« Nous ne voulions pas limiter ce service à nos seuls utilisateurs enregistrés. Nous avons donc veillé à ce que toutes les écoles de Libye puissent avoir accès à Panda E-Learning, sans exception », expliquent les amis, en précisant qu’ils ont demandé le soutien des autorités pour poursuivre la mise en œuvre de « Panda E-Learning » tout au long de la pandémie.
« Nous n’avons pas encore atteint notre objectif consistant à desservir 60 écoles d’ici la fin de l’année. Mais dans le même temps, nous tenons à ce que, grâce à Panda, tous les élèves puissent terminer leur année scolaire en toute sécurité », poursuivent les trois amis.
« Panda E-Learning » n’est pas encore finalisé en raison du manque de ressources, mais Amine explique que, dans sa recherche de financement, l’équipe a réussi à créer un mini-programme d’études axé sur la technologie qui a été fourni à toutes les écoles associées à Panda.
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