Cette histoire a été initialement produite par TESIM, Adrienne Hurtut, en avril 2024.
Les raisins, véritables joyaux des vignobles, produisent à l’échelle mondiale environ 74 millions de tonnes de vin chaque année. Pourtant, la vinification s’accompagne d’un sous-produit conséquent : le marc – un mélange de peaux, de pépins et de rafles. Traditionnellement, ce marc connaît deux destins : servir de nourriture pour animaux ou, au mieux, être utilisé comme fertilisant à l’air libre. Mais des recherches récentes révèlent dans ces déchets un trésor insoupçonné. Riche en substances bioactives comme les antioxydants, le marc possède des vertus allant des propriétés anti-âge à des effets potentiellement anti-cancer. Le projet ENI CBC BESTMEDGRAPE mise sur cette ressource encore peu exploitée, combinant savoir, tradition et innovation pour dynamiser à la fois la filière viticole et l’esprit créatif des entrepreneurs.

La solution ? La science.
La Méditerranée, qui abrite 40 % des vignobles mondiaux, fait face à un défi aussi grand que son héritage : la gestion des déchets. Environ 1,17 kg de raisins sont nécessaires à la production d’une bouteille de vin standard, et après pressurage, près de 20 % de ce poids subsiste sous forme de marc. En dépit de ce volume considérable, les déchets de raisin sont souvent négligés, alimentant les problèmes environnementaux aggravés par le changement climatique.
Depuis plusieurs années, le projet ENI CBC BESTMEDGRAPE s’emploie à redonner vie à ces résidus, dans une logique de production durable du raisin qui permettrait d’éviter la contamination environnementale générée par les énormes quantités de déchets encombrants issues de la vinification.
Boutheina Gharbi, cheffe du projet, explique : « L’industrie jette énormément de déchets et nous savons désormais, grâce à nos recherches, que le marc est un sous-produit très riche, apprécié par les industries des compléments alimentaires et des cosmétiques. »
Lancé en 2019 avec un budget de 3,3 millions d’euros, BESTMEDGRAPE – mis en œuvre dans le cadre du programme ENI CBC Bassin Maritime Méditerranée – réunit huit partenaires dans cinq pays méditerranéens : la France, l’Italie, la Jordanie, le Liban et la Tunisie. Dirigés par l’Université de Cagliari (Italie), les partenaires ont cherché à insuffler de l’innovation dans la région. Des laboratoires de Sassari (Italie) aux vignobles de Tunis (Tunisie), les déchets de raisin ont connu une métamorphose : leurs propriétés antioxydantes, anti-inflammatoires et anti-neurodégénératives ont été exploitées, et de nouvelles formulations ont vu le jour sous forme de compléments nutritionnels ou de produits de beauté. Dix nouveaux produits et services ont été développés pour la commercialisation dans le domaine des dérivés du raisin, et quatre copublications ont été produites sur la caractérisation et l’extraction des variétés locales de raisin.
« Grâce à ce projet – explique Zouhour Behi, entrepreneuse tunisienne bénéficiaire des activités – j’ai découvert l’aspect scientifique de l’huile de pépins de raisin, qui est la plus puissante huile capable de pénétrer jusqu’à la couche la plus profonde de la peau. » Mais l’impact de BESTMEDGRAPE va bien au-delà des avancées scientifiques.

De l’université à l’industrie, le projet visait à soutenir la création de nouvelles start-up/PME en formant une nouvelle génération d’entrepreneurs à travers des ateliers et des initiatives de partage de connaissances. Les résultats de la recherche ont ainsi été transférés à 150 entrepreneurs – 30 par pays – via des ateliers appelés « living labs ». La démarche était double : une formation scientifique sur la production de cosméceutiques et de nutraceutiques de haute qualité, accompagnée d’un transfert de connaissances permettant aux entreprises de partager leur savoir-faire commercial et de travailler sur le développement du potentiel de marché. Ce fut un partenariat fructueux entre institutions, chercheurs et entrepreneurs, tous unis pour valoriser la filière viticole.
« L’idée de diversifier les partenariats – poursuit Boutheina – a apporté beaucoup de résilience et d’expertise, grâce au partage de connaissances. Un partenaire était surtout avancé en recherche scientifique, tandis qu’un autre pouvait apporter une expérience inestimable dans la gestion de réalités socio-économiques complexes. Cet échange dynamique a énormément enrichi le partenariat. »
Tout en réduisant la pollution environnementale, les partenaires du projet ont accru les opportunités d’emploi et stimulé l’économie locale dans toute la Méditerranée.
Sur les 150 entrepreneurs formés, 40 ont été sélectionnés pour lancer leur propre entreprise. De Beyrouth (Liban) à Bizerte (Tunisie), le projet les a propulsés sur le marché méditerranéen, où ils peuvent désormais proposer des produits innovants issus des déchets de raisin.
De plus, une plateforme technologique transfrontalière a été développée pour soutenir le réseautage commercial autour de l’exploitation du marc. « Nous sommes désormais présents sur le marché – poursuit Zouhour – structurés, avec une clientèle fidèle. Grâce à ce projet, nous avons élaboré notre stratégie marketing. » À ses côtés, Rafik Boukhris, également entrepreneur, ajoute : « Pour valoriser la présentation de nos produits, nous avons aussi conçu des emballages (en bois) avec une touche tunisienne pour notre gamme Travel Gift. »

Mais le succès de BESTMEDGRAPE ne se mesure pas uniquement en termes de profits ; le projet vise aussi à renforcer la résilience et l’autonomisation. Selon Gharbi, l’objectif est de rendre l’espace méditerranéen non seulement plus innovant et compétitif, mais aussi plus inclusif.
Amal Trabelsi a rejoint la formation alors qu’elle était étudiante, et elle est aujourd’hui cofondatrice de « Vitofera » — une marque spécialisée dans l’huile de pépins de raisin. « Je suis nutritionniste, et j’ai rencontré les autres filles qui sont désormais mes associées pendant la formation. Elles sont ingénieures et nous avons réalisé que nos expertises étaient très complémentaires. Après avoir participé aux laboratoires, nous avons décidé de créer notre propre marque “Vitofera” et de lancer une petite entreprise ensemble. Nous produisons de l’huile de pépins de raisin : elle est riche en antioxydants, elle hydrate la peau, elle est excellente pour les cheveux, le visage et l’ensemble du corps. Maintenant, il nous faut trouver un marché, mais je suis confiante que nous y parviendrons », explique Amal.
Des laboratoires aux vignobles, des entrepreneurs aux consommateurs, BESTMEDGRAPE laisse une empreinte forte, transformant les déchets en merveilles et prouvant qu’en Méditerranée, l’innovation n’a pas de limites.
« À partir de ces déchets, nous avons réussi à produire du sérum, de l’huile de pépins, des gels nettoyants et une variété d’huiles multi-usages », explique Boutheina Gharbi. « Ces produits ont vu le jour grâce à de formidables entrepreneurs qui ont débuté comme stagiaires aux débuts du projet. Nous les avons accompagnés pour affiner leurs idées, et nous assistons aujourd’hui, sous nos yeux, à leur commercialisation réussie. »
En savoir plus sur BESTMEDGRAPE : https://www.enicbcmed.eu/projects/bestmedgrape
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