Réutiliser l’eau, repenser les villes au Liban

Juillet 7, 2025
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Au Liban, où la rareté de l’eau constitue un défi majeur, le projet NAWAMED, financé par l’Union européenne, contribue à redéfinir la gestion de l’eau en promouvant des solutions fondées sur la nature et des pratiques circulaires. Grâce à un partenariat avec l’Université américaine de Beyrouth (AUB), le projet a permis de développer des infrastructures vertes pour recycler les eaux grises de manière innovante, tout en encourageant la durabilité en milieu urbain et en sensibilisant les générations à venir.

L’innovation jaillit du béton

Là où se dressait autrefois un simple mur extérieur d’un dortoir étudiant de l’AUB à Beyrouth pousse aujourd’hui un écosystème vertical. Verdoyant, luxuriant et vivant, le mur végétalisé n’est pas qu’un joli décor : c’est un véritable système de traitement des eaux grises. Il a été construit dans le cadre du projet NAWAMED, une initiative euro-méditerranéenne déployée dans plusieurs pays pour intégrer des solutions circulaires fondées sur la nature dans les zones urbaines.

« Quand nous avons commencé, il n’existait rien de tel au Liban », se souvient Maya Melhem, architecte paysagiste et coordinatrice du projet à l’AUB. « Les murs végétaux existaient, mais uniquement pour l’esthétique. C’était la première fois que nous utilisions des plantes pour réellement traiter l’eau. » Les eaux grises – issues des lavabos et des douches – finissent généralement dans les égouts. Mais dans ce projet pilote, elles sont redirigées et filtrées à travers une structure composée de végétation et de substrats techniques, imitant les processus naturels de purification. Une fois traitée, cette eau est réutilisée pour alimenter les chasses d’eau et irriguer les espaces verts.

Dirigé par la province italienne de Latina et mis en œuvre dans cinq pays (Italie, Jordanie, Liban, Malte et Tunisie), le projet a favorisé la coopération transfrontalière dans les domaines des sciences et de l’ingénierie. L’AUB a apporté ses connaissances locales, l’implication des étudiants et une réelle envie d’apprendre. « C’était un transfert de savoir-faire, explique Maya Melhem. Nous n’étions pas les inventeurs, mais nous sommes devenus les exécutants, en adaptant le design à nos sites et à nos besoins. »

Apprendre en faisant, transmettre en montrant

Pour le professeur Yaser Abunnasr, directeur du Centre de conservation de la nature et chef de projet à l’AUB, cette initiative relève autant de l’éducation que de la technologie.
« Deux de nos étudiants ont rédigé leur mémoire de master sur ce projet », explique-t-il, en ajoutant que « nous avons également impliqué des étudiants en architecture, en ingénierie, et même l’équipe de maintenance. Tout le monde a appris à construire, surveiller et entretenir ces systèmes. »

Mais l’impact éducatif ne s’est pas arrêté aux portes de l’université. L’équipe de l’AUB a également sensibilisé des enfants, notamment issus d’écoles publiques défavorisées, à travers des ateliers pratiques. À l’aide de modèles simples fabriqués avec des bouteilles en plastique, ils ont démontré le fonctionnement des zones humides et des murs végétaux.
« Nous avons mis l’accent sur la sensibilisation », souligne Yaser Abunnasr. « Les enfants étaient fascinés. Certains ont dit qu’ils essaieraient de le reproduire chez eux avec leur famille. Ce genre de réaction n’a pas de prix. » Maya Melhem confirme : « Voir la joie et la curiosité dans les yeux de ces enfants, savoir qu’ils apprenaient la durabilité et la réutilisation de l’eau : cela représente une grande partie de l’impact pour moi. »

Ces efforts de sensibilisation ont été appuyés par un “Bus de la nature” itinérant, animé par un ancien étudiant de l’AUB, qui a sillonné les écoles pour enseigner l’écologie aux enfants. « Ce projet n’était pas uniquement technique, dit Yaser Abunnasr. Il était profondément social et humain. »

Les défis du verdissement du futur

Les réussites du projet ne sont toutefois pas arrivées sans embûches. « Mettre cela en œuvre au Liban a été plus difficile qu’en Europe », explique Maya Melhem, évoquant notamment l’indisponibilité de certains matériaux. « Nous avons dû improviser, trouver des alternatives locales, les tester en laboratoire et les adapter. Cela a pris des mois. » Le mur végétal lui-même a souffert pendant le récent conflit, lorsque l’irrigation a été interrompue pendant deux semaines. « Certaines plantes ont été affectées, admet-elle, mais nous l’avons ravivé. Il est toujours là. Il fonctionne toujours. »

L’initiative comprenait également une zone humide portable, pensée comme une solution mobile et autonome pour le traitement des eaux grises en situation d’urgence, comme dans les camps de réfugiés. Pour l’instant, ce prototype est conservé à l’AUB. « La vision était ambitieuse », se souvient Maya. « Nous l’imaginions déployé dans des zones marginalisées, même en contexte de crise. Mais, avec l’instabilité économique et la guerre récente, cela n’a pas encore été possible… du moins pas encore ! »

Malgré les défis, les bénéfices à long terme sont visibles. Le classement de durabilité du campus de l’AUB s’est amélioré. L’espace autrefois négligé autour du mur végétal est devenu un lieu de rencontre où les étudiants viennent se rassembler, étudier ou simplement s’asseoir. « Ils ont commencé à utiliser l’endroit comme un petit jardin », note Maya. « Même ce petit changement compte. »

Pour Yaser Abunnasr, ces prototypes sont des étapes clés. « Dans un pays où les priorités sont multiples, cela ne se généralisera pas du jour au lendemain. Mais nous avons prouvé que cela fonctionne. Qu’il est possible de développer une gestion circulaire de l’eau avec des technologies peu coûteuses.  Et peut-être le plus important de tout : la prochaine génération regarde, et apprend. »

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