Grâce au partenariat scellé entre l’Union européenne (UE) et le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies en juillet 2014, les gouvernorats égyptiens les plus démunis ont pu bénéficier du projet « Améliorer l’accès à l’éducation et prévenir le travail des enfants » qui aspire à maintenir les enfants à l’école. Il s’agit d’un programme qui lutte contre l’analphabétisme, le travail des enfants ainsi que l’abandon scolaire, en fournissant une aide alimentaire et un soutien financier qui s’élève à hauteur de 60 millions d’euros.
On voit quelques murs couverts d’inscriptions dont les lignes sont simples et désordonnées. Les rares petits commerces sont éparpillés ici et là. Les maisons, dont on retient seulement l’aspect aléatoire, traduisent le goût de chaque famille et reflètent leurs moyens limités. Aucune noblesse ne se dégage de ce lieu. Pourtant, le centre administratif de Sinnuris, situé à 88 km du Caire, date de l’année 1871. Et, selon de récents rapports de développement, c’est là que se trouve le village le plus pauvre du pays, à savoir Sanhour El Qableya.
La plupart des villageois, dont le nombre atteint les 150 000 habitants, sont des ouvriers journaliers. On y recense un taux élevé d’abandon scolaire et d’analphabétisme. Pour cette raison, le village de Sanhour El Qableya a été l’un des candidats logiques pour bénéficier du soutien du projet de l’Union européenne « pour promouvoir les opportunités éducatives et prévenir le travail des enfants ».
Dans l’enceinte de l’école de Sanhour El Qableya
L’école de Sanhour El Qableya est rattachée au ministère de l’Éducation. Elle fait partie des 63 écoles communautaires du centre de Sinnuris sur un total de 611 établissements dans le gouvernorat du Fayoum répartis sur sept centres. Le projet « Améliorer l’accès à l’éducation et prévenir le travail des enfants », financé par l’Union européenne (UE) à hauteur de 60 millions d’euros et mis en œuvre par le Programme alimentaire mondial (PAM), aspirait à collaborer avec l’ensemble des écoles dans 16 gouvernorats égyptiens jusqu’en 2017. Il était le fruit d’un partenariat qui avait vu le jour en juillet 2014 entre l’UE et la PAM. Même si le projet a été prolongé jusqu’à l’été 2019, il couvre seulement neuf gouvernorats à présent, à savoir le Delta et la Haute Égypte.
La couleur jaune revêt les murs de l’école de Sanhour El Qableya. On y voit des autocollants de personnages inspirés de dessins animés. Dans l’école, il y a un coin consacré aux activités artistiques et un autre dédié à l’apprentissage à travers le jeu. On y trouve aussi un petit théâtre de marionnettes, un ordinateur qui diffuse une vidéo pour aider à apprendre les lettres et les mots. En demi-cercle, les garçons et les filles se mettent autour des deux maîtresses. Les élèves, dont l’âge varie entre 7 et 13 ans, participent activement à la leçon. Ils ne se contentent pas de recevoir l’information passivement. Leur maîtresse Rania Abdel Quawi pense que cela est très bénéfique au processus d’apprentissage. Rania est titulaire d’un diplôme de services sociaux et éducatifs. Elle a également suivi une formation supplémentaire dans le cadre de sa collaboration dans le projet. Depuis onze mois, elle se sert de la tablette pendant ses cours : « le premier groupe de l’école primaire est composé de 26 élèves dont cinq seulement sont des garçons. Certains élèves ont des liens de parenté. Ici, les “grands” aident les plus petits. Ces derniers sont souvent plus réceptifs quand les aînés leur expliquent les choses car ils sont plus proches d’eux. Il s’agit d’une approche fondée sur l’apprentissage entre pairs. « Nous enseignons l’arabe et les mathématiques et nous mettons en place des activités de 8 heures du matin à 14 heures. À 10 h 30, c’est-à-dire pendant la pause, on distribue une collation sous forme de barres nutritives gratuites. Deux fois par semaine, un conseiller vient à l’école pour enseigner la langue anglaise. Quant au théâtre de marionnettes, il demeure l’outil pédagogique pour faire progresser le comportement des enfants en ciblant à titre d’exemple la propreté, la loyauté et l’honnêteté. »
Des rations alimentaires quotidiennes et mensuelles
Le projet « Améliorer l’accès à l’éducation et prévenir le travail des enfants » est incontestablement une nécessité qui répond à la réalité du terrain. En effet, ce type de programme permet de faire évoluer les sociétés les moins chanceuses à divers niveaux : les services, l’économie, le niveau de vie, etc. Le programme fournit aux écoliers une collation nutritive qui couvre 25 % de leurs besoins alimentaires journaliers. En effet, « le biscuit de l’Union européenne », comme l’appellent les villageois, contient des vitamines et des minéraux que l’on mélange à une pâte de dattes pas entièrement mûres, « un gâteau à la datte fraîche ». Il s’agit d’une recette spécifique élaborée en partenariat avec des entreprises locales selon des critères internationaux. Pour que l’enfant soit rassasié, il lui suffit d’en manger quatre. Certains les emmènent chez eux. De temps en temps, ils les partagent avec leurs frères et sœurs. D’autres gardent les biscuits pour les manger pendant les pauses. Souvent, au début de chaque mois, les parents reçoivent également une ration mensuelle de 10 kilos de riz et 1 litre d’huile de cuisson pour les encourager à envoyer leurs enfants à l’école. Par ailleurs, à cela se sont ajoutés d’autres produits plus diversifiés depuis la mise en place du système des cartes prépayées, il y a déjà deux ans et demi. Cette procédure aspire à faciliter la distribution des produits alimentaires destinés à chaque famille chez les 18 commerçants agréés à Sinnuris : les pâtes, le thon, le miel, la farine, les lentilles, le poisson, etc. Pour en bénéficier, il faut que le taux de présence des enfants ne soit pas inférieur à 80 %. Selon le Programme alimentaire mondial, la ration distribuée aux parents équivaut à la rémunération mensuelle que gagnerait un enfant si ce dernier travaillait au lieu de se rendre à l’école. Le Programme en question a collaboré avec 3285 écoles communautaires dans les quatre coins du pays en ciblant 91 600 élèves et en formant 8800 maîtres et maîtresses. Par ailleurs, 52 200 mères ont bénéficié de 11 440 prêts grâce à la présence régulière de leurs enfants à l’école. En réalité, les écoles communautaires faisant partie du Programme se distinguent par leur nature : elles sont souvent le fruit de l’effort individuel de quelques familles ou de certaines associations, mais elles demeurent sous la supervision du ministère de l’Éducation égyptien. La capacité d’accueil dans les classes est de 20 élèves environ ayant des tranches d’âge variables. Les maîtres et les maîtresses doivent ainsi faire preuve de flexibilité au niveau de l’interaction et de l’adaptation. Pour cette raison, il a été nécessaire de les former au préalable pour mettre en place des méthodes d’apprentissage modernes.
Du haut de ses 13 ans, Aya porte une couronne en papier pour exprimer sa fierté d’être la doyenne de la classe. À cause de l’indisponibilité de son acte de naissance et du décès de son père, Aya n’a pas pu aller à l’école quand elle était plus jeune. Cependant, elle est déterminée à obtenir un diplôme lui permettant d’enseigner et de partager ses connaissances avec les autres. La benjamine de la classe s’appelle Youmna et elle a environ 7 ans. Cette excellente élève rêve de rejoindre les bancs de la faculté de médecine. Ahmed, 11 ans, est le plus turbulent de la classe. Il s’asseoit à quelques pas des autres. Tous ses camarades saluent son talent de bricoleur : il a monté un vélo à vapeur simple.
L’épicerie d’Om Islam
Dès qu’elles reçoivent l’appel téléphonique, les familles qui se soucient de l’éducation de leurs enfants et celles qui se sont engagées à respecter les clauses du projet financé par l’Union européenne se rendent immédiatement chez l’un ou l’une des commerçant.e.s agréé.e.s. Om Islam qui gère une épicerie depuis 20 ans est l’une d’eux. Grâce à la carte électronique, les familles peuvent recevoir ce dont elles ont besoin selon des rations spécifiques (l’équivalent de 180 livres égyptiennes environ). Les villageois de Sinnuris bénéficiaires de ce programme pensent que la fin du projet créera sans aucun doute un vide. Force est de constater que l’activité des épiciers faisant partie du programme a considérablement augmenté. C’est le cas d’Om Islam ; ainsi, il est possible que son activité soit affectée dès que le programme sera fini. Mais, elle pense que son travail reste une garantie.
Les acteurs du Programme financé par l’UE travaillent en étroite collaboration avec des spécialistes qui évoluent sur le terrain. Ces derniers représentent le lien entre les associations, les écoles locales et les chercheurs et chercheuses dans la capitale qui mettent en place des plans d’action en fonction des besoins de chaque gouvernorat. À titre d’exemple, depuis 2016, Nivine Adib Samuel, spécialiste de l’action sociale et du développement, accomplit à merveille sa mission. Originaire du gouvernorat du Fayoum, Nivine connaît parfaitement la vie du public auprès duquel elle intervient et elle suit de près les différentes étapes du projet : la distribution des rations domestiques, l’entretien et la distribution des tablettes aux maîtres et aux maîtresses, la vérification des taux de présence dans les écoles, la mise à jour des cartes électroniques prépayées qui permettent d’avoir accès aux produits alimentaires prévus pour chaque famille, etc. Nivine connaît également le succès qu’ont connu certains des anciens élèves des écoles communautaires : « par exemple, il y en a une qui est devenue chirurgienne à l’hôpital public du Fayoum. Il y en a un qui est devenu joueur de football alors qu’il était encore au lycée. Un autre élève a finalement renoncé à la vendetta et il a fini par rejoindre la faculté de littérature ».
Nivine a tellement de choses à dire. Les gens autour d’elle ne cessent de la solliciter pour lui poser des questions concernant les prêts et les possibilités de lancer de petits projets. En effet, le projet de partenariat entre l’Union européenne et le Programme alimentaire mondial a nourri les espoirs, a créé des opportunités et a permis de rêver à nouveau. Un tel changement est perceptible dès que l’on avance d’un pas dans l’école de Sinnuris, rattachée à l’organisation Égypte Al-Khaïr pour l’Éducation communautaire. Les acteurs du projet européen ne se sont pas contentés de lutter contre l’abandon scolaire. À vrai dire, leur action sur le terrain les a incités à proposer des prêts pour faciliter la vie des mères en leur permettant de lancer de petits projets. Il est clair que l’autonomie financière des mères garantit la présence des enfants à l’école : elles ne dépendront plus du travail de leurs enfants pour améliorer leurs revenus.
Le poisson est un gagne-pain
Contrairement à plusieurs villageoises qui n’ont jamais travaillé, Naamet Ibhrahim, 45 ans, vend du poisson depuis plus de 30 ans. Elle s’installe par terre sur un tissu à proximité du marché de Sinnuris. Devant elle, on voit un assortiment de tilapias, de sars et de gambas qu’elle a étalé sur un petit frigo rouge où elle a mis une balance manuelle : « j’ai bénéficié d’un prêt “facilitateur de projet” à hauteur de 3500 livres égyptiennes. C’est l’équivalent de 180 euros. Cela m’a permis d’acheter le frigo et la balance qui m’ont facilité la tâche. En effet, avant, je tentais de me débarrasser du poisson qui me restait en fin de journée. À présent, je peux le garder pour le vendre le lendemain grâce au frigo. Comme j’ai inscrit ma petite fille à l’école, j’avais le droit de participer à la formation proposée aux familles, particulièrement aux mères, et d’effectuer une demande de prêt ». Naamet précise également ce qui suit : « je rembourse le prêt sur 15 mois. En d’autres termes, je paie 258 livres égyptiennes par mois. Le montant du prêt n’est pas conséquent, mais il m’a vraiment aidé ». Quand Niamaat raconte son histoire, un rire l’illumine bien qu’elle paraisse plus âgée qu’en réalité. Elle parle de ses grands enfants, les « garçons », qui partaient à Asswane pour travailler en tant que pêcheurs. Mais, son sourire s’élargit quand elle évoque sa benjamine qui fait des études et qui a atteint la sixième année à l’école primaire : « j’espère que je serai encore en vie quand elle finira ses études. C’est elle qui lit le nom de mes médicaments et de mes soins. Elle sait à présent, grâce à l’école, faire la distinction entre le bien et le mal. Ses frères ont peur pour elle, mais j’insiste pour qu’elle ait une vie différente de la mienne ». Sa fille rêve de devenir médecin, comme plusieurs de ses camarades de l’école de Sanhour El Qableya.
Désormais, l’école communautaire n’est plus un simple endroit où les enfants apprennent. Elle représente l’axe autour duquel tourne la vie de plusieurs familles qui ont vu leur vie s’améliorer grâce au soutien du projet européen. À présent, il est possible d’espérer avoir un avenir différent. C’est le sentiment qu’éprouve Rawiya Jomaa chaque fois qu’elle regarde sa petite-fille, une poignée de lentilles vertes à la main. Elle y voit l’avenir. Rawiya a deux filles qui vont à l’école régulièrement. Grâce à cela, elle a d’abord pu bénéficier de la formation qui cible les mères ; ensuite, elle a reçu une aide financière qui lui a permis d’acquérir une certaine stabilité. Elle a réparti l’argent du prêt pour que son mari puisse s’acheter une charrette tirée par un cheval pour vendre les fruits et les légumes. Pendant les matinées d’hiver fraîches, elle en vend la moitié à quelques pas de l’école. Ici, le quotidien des parents a changé, mais également l’avenir des enfants.
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