Broder les traditions jordaniennes dans un design innovant

Août 28, 2019
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Le concours « Creative Jordan Fashion Designer » (« Khayt »), financé par l’UE, a été lancé pour la première fois cette année en Jordanie. Il a pour objectif de faire progresser le secteur de la mode et du design grâce à des partenariats créatifs et innovants entre des designers, des créateurs de mode et des fabricants de textiles. Le concours sans but lucratif, qui s’est déroulé entre janvier et juin 2019, a attiré plus de 110 jeunes créateurs jordaniens et non jordaniens cherchant à devenir l’une des nouvelles tendances de ce secteur en pleine expansion.

Vêtue d’une veste vert pâle surdimensionnée, la frêle Sujood Darabkeh, 22 ans, apparaît d’abord comme une jeune Jordanienne timide, fraîchement sortie des bancs de l’université. Elle cherche ses mots et peine à se souvenir de son adolescence et de son parcours dans l’industrie de la mode.Cependant, dès qu’on l’interroge sur la collection primée qu’elle a créée pour le concours de design Khayt, ses yeux s’illuminent et son attitude change radicalement. « Créer de nouveaux designs est une façon pour moi d’exprimer qui je suis. Cela m’aide à transmettre mon message et à communiquer aux gens ce que je pense », explique énergiquement la jeune créatrice, qui a remporté la première place parmi les neuf candidats sélectionnés.

« Je me suis toujours intéressée à la mode et à l’expérimentation de nouvelles choses, comme l’assemblage de différentes pièces pour créer de nouvelles créations », se rappelle Sujood, ajoutant que sa famille a eu un peu de mal à accepter son transfert à la Fakhoury Fashion Design Studies Academy après qu’elle ait décroché son diplôme en arts plastiques et multimédias à l’université de Jordanie.« Ils ont essayé de me décourager parce qu’ils n’avaient pas foi dans le secteur de la mode en Jordanie. Ils voulaient que je m’engage sur une voie plus sûre ».

Cependant, avec le soutien de sa sœur et de ses trois frères, un grand dévouement – et un soupçon d’entêtement – Sujood a réussi à les faire changer d’avis.« Ils ont été très impressionnés lorsqu’ils ont vu les efforts que je déployais comme stagiaire auprès de plusieurs créateurs locaux, et à quel point je partageais leur état d’esprit. Enfin, quelqu’un semblait sortir des sentiers battus, tout comme moi », se souvient la jeune femme.Sa capacité à évoluer dans ce secteur apparemment inhospitalier a été le dernier élément qui a convaincu les parents de Sujood.

« C’est en fait ma mère qui m’a encouragé à participer au concours Khayt quand j’en ai appris l’existence sur les réseaux sociaux. J’ai dû soumettre une proposition décrivant mon interprétation moderne de la Jordanie, d’une manière qui combine les valeurs traditionnelles et l’imaginaire de la Jordanie avec les tendances modernes de la mode. »

Quand l’ancien rencontre le nouveau

Le concours, organisé par l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI) en collaboration avec le Garment Design & Training Services Centre (GSC) a été rendu possible grâce à la contribution financière de l’Union européenne et de l’Agence italienne pour la coopération au développement. Doté d’une enveloppe de 41 000 euros, le projet s’inscrit dans le prolongement du programme quinquennal « Développement de clusters dans les industries culturelles et créatives », labellisé par les 43 États membres de l’Union pour la Méditerranée (UpM) et financé par l’UE entre 2014 et 2019.

Khayt fait partie de l’Initiative méditerranéenne pour l’emploi (Med4Jobs), une initiative phare de l’UpM qui vise à favoriser l’accroissement de l’employabilité des femmes, à réduire les écarts entre l’offre et la demande d’emploi et à promouvoir une culture d’entrepreneuriat et de développement du secteur privé. Il relève des efforts déployés par l’UE pour contribuer à une croissance économique durable et inclusive et à la création d’emplois dans le sud de la Méditerranée, en améliorant l’esprit d’entreprise, l’innovation, la conception des produits et les capacités de commercialisation des entreprises créatives.

Le concours Khayt, divisé en trois phases principales – prototypage, production de matériaux et défilé de mode – a emmené les participants dans un voyage éducatif de six mois, riche en design. Sujood et ses huit collègues ont bénéficié du soutien technique et du mentorat d’experts et de stylistes de la mode locaux et internationaux. Ils ont également participé à des séances d’affaires et rencontré des représentants du secteur.« C’était très difficile pour nous, et parfois stressant, comme la fois où nous n’avions que 24 heures pour créer une collection capsule de 12 croquis à partir de notre style actuel », se souvient Sujood.

Mais les difficultés n’ont pas effrayé la jeune femme consciencieuse, décrite par ses mentors comme « perfectionniste et persévérante », presque « trop exigeante ». « J’avais une idée très claire de ce à quoi devait ressembler mon inspiration dans un prototype. J’étais très exigeante et je ne tolérais aucune erreur, même si cela impliquait de le modifier un million de fois jusqu’à ce qu’il soit parfait », se rappelle Sujood en riant.

La jeune créatrice explique qu’elle s’est inspirée du centre-ville d’Amman et du Souk Juma’a traditionnel pour son look sur le thème « Une interprétation moderne de la culture jordanienne ». « J’ai voulu représenter des choses qui disparaissent lentement : ces vieilles rues que l’on oublie au fur et à mesure que de nouveaux bâtiments apparaissent à Amman », explique Sujood, décrivant comment les couleurs simples et unies de ses créations se fondent lentement dans un chaos de lignes et de motifs qui représentent le chaos dynamique de la capitale. « Pour moi, la mode est une façon de rassembler des tas de petits morceaux. Une fois assemblée, chaque création parle d’elle-même et les personnes qui la portent peuvent véhiculer mon message », explique la jeune femme de 22 ans, qui s’inspire beaucoup des techniques du collage et de l’impression multimédia.

Sous les feux de la rampe

Le défilé de mode destiné à couronner le lauréat du concours Khayt n’avait rien à envier aux hauts lieux mondiaux de la mode. Organisée le 26 juin au prestigieux hôtel W Amman, berceau du glamour et du luxe, la cérémonie de remise des prix a réuni la crème de la crème de la capitale jordanienne. Les huit participants, bien que nerveux, ont fait preuve d’une énergie positive et solidaire qui fait parfois défaut au monde de la haute couture. « Ils ont tous été si impressionnants et ont vraiment fait honneur à la communauté jordanienne du design », raconte Yasin.Des mannequins élancés ont gracieusement défilé sous les yeux attentifs du jury, composé d’experts locaux et internationaux de renom.

Hussein Bazaz, célèbre créateur libanais, Cedric Haddad, styliste international, Lama Hayek, femme d’affaires et directrice du développement commercial de Ralph & Russo, Srdjan Prodonovic, promoteur de marque international, Tatyana Aceeva, styliste régionale, et Giulio Vinaccia, célèbre créateur de produits, faisaient partie du jury de délibération. Ils ont examiné dans les moindres détails l’ensemble des styles, lesquels devaient comporter une seule tenue avec des accessoires assortis, en remplissant plusieurs critères soigneusement sélectionnés, parmi lesquels le style présenté sur le podium, le respect du thème du concours, le caractère esthétique des tenues, ainsi que la collection capsule complète créée par chaque créateur.

Même si elle était l’une des plus jeunes participantes au concours (il fallait avoir plus de 18 ans pour pouvoir y participer), Sujood a prouvé que l’âge n’était pas une limite à la créativité. Son bermuda à rayures fines, associé à une veste personnalisée en sérigraphie et assorti d’une chemise et d’un soutien-gorge extérieur, lui a permis de se distinguer des huit autres concurrents et de remporter le premier prix.

L’essor d’un secteur en pleine expansion

Le fabricant choisi pour produire la collection de Sujood, Yasin Abul Rous, exprime sa fierté de voir de plus en plus de créateurs jordaniens comme Sujood dévoiler leur créativité au grand public.« Je travaille dans ce secteur depuis plus de 20 ans et la situation a évolué de façon spectaculaire au cours de la dernière décennie. Dans le passé, aucun créateur jordanien n’osait vraiment saisir sa chance dans ce milieu. La qualité et le talent de notre design local n’étaient ni acceptés ni reconnus », se souvient le fabricant, qui a personnellement décidé d’investir dans la collection de Sujood. « Les choses ont changé. Aujourd’hui, les créateurs sont fiers d’inclure le label “Made in Jordan” sur leurs produits. C’est une évolution incroyable, car les créateurs jordaniens recèlent un énorme potentiel et ils font preuve d’un niveau de créativité supérieur à celui du reste du monde. »

Yasin salue en particulier le talent de la jeune lauréate du concours. Il affirme d’ailleurs à son sujet : « Je n’ai jamais vu personne d’autre comme elle ». « J’ai visité de nombreux salons internationaux à travers le monde tout au long de ma carrière, et j’ai travaillé avec de nombreux créateurs locaux et internationaux, mais je n’ai jamais vu une personne aussi courageuse et aussi créative qu’elle. Ses idées, les tissus, les imprimés, les coupes et les prototypes qu’elle a créés sont si différents de tout ce qui se fait à l’international », souligne Yasin, regardant Sujood avec fierté. Véritablement satisfaite, Sujood renvoie le compliment, exprimant son bonheur de travailler avec un fabricant aussi expérimenté. « Il a été capable de concrétiser mes idées et de transposer ce que j’avais dans ma tête dans les modèles que je voulais », se réjouit-elle, reconnaissant à quel point cela pourrait être une tâche herculéenne pour les autres personnes avec lesquelles elle a collaboré.

Tous deux s’accordent sur l’importance de projets comme Khayt, qui aident les créateurs émergents à percer sur les marchés locaux et internationaux.« Quand on pense différemment, il faut prendre des risques, et ce n’est jamais facile. Vous pouvez réussir ou échouer, mais pour être un leader du changement, surtout dans ce secteur, vous devez franchir le pas », conclut Yasin. Et l’audace de Sujood a déjà porté ses fruits, puisque ses créations ont récemment été exposées dans la capitale de la mode, Paris, où elle espère participer à la prochaine Fashion Week.

 

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