De rebuts à la lumière : des sœurs libanaises transforment des déchets alimentaires en engrais vert

Septembre 8, 2023
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GARBALISER se spécialise dans la production d’engrais liquide de haute qualité fabriqué à partir de déchets organiques qu’elle vend à un prix abordable. La start-up entend devenir un moteur de la vie socio-économique du petit village de Brital, au nord-est de Beyrouth.

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Ce qui frappe le plus lorsqu’on parle pour la première fois avec Hanan Ismail, c’est sa capacité à jongler d’une plaisanterie légère sur sa situation à une explication passionnée et très technique des processus de fermentation anaérobie naturelle de son entreprise.

Cette jeune femme de 32 ans sait manier les mots, c’est indéniable. Mais ce qu’elle incarne encore plus, c’est son amour contagieux de la vie et sa volonté de changement.

Entre deux plaisanteries, Hanan nous raconte comment tout a commencé. « La plupart des gens ont apprécié le temps libre qu’ils ont eu pendant la pandémie de COVID-19. Mais ce n’était pas le cas de ma sœur Zeinab et moi-même. Dès que nous sommes entrés en confinement, nous tournions en rond dans la maison pour nous occuper ».

Un jour, leurs deux cerveaux en effervescence se sont retrouvés dans un webinaire sur les problèmes que rencontrent les agricultrices au sujet de la pollution dans l’agriculture et l’impact négatif des engrais chimiques sur leur santé, leurs récoltes et leurs finances. « Nous savions que le niveau de pollution au Liban avait considérablement augmenté avant même la révolution », explique Zeinab.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, quelque 1,35 million de personnes au Liban souffrent d’insécurité alimentaire. Alors que le secteur de l’agriculture emploie environ 60 % de la population, il ne contribue qu’à hauteur de 5,5 % au PIB, et près de 80 % des besoins alimentaires du pays sont couverts par les importations.

Conscientes de ces deux problèmes, les sœurs Ismail ont eu l’idée de créer un système qui transformerait les résidus organiques, c’est-à-dire les déchets, en un engrais non chimique et non polluant grâce à une technologie sophistiquée de fermentation. « Bien que notre famille travaille dans l’agriculture, mon père et mon oncle ont tous deux des exploitations agricoles, nous ne connaissions absolument rien au sujet », explique Zeinab, qui est diplômée en ingénierie électrique, tandis que sa sœur est titulaire d’un Master en marketing.

« Nous venons également d’un très petit village où les femmes ne peuvent pas créer leur propre entreprise. Si vous voulez aller dans la ville voisine, vous devez demander la permission à votre père ou à votre frère. Alors, je vous laisse imaginer si vous voulez construire des machines à la maison pour lancer votre propre start-up ». Hanan se remémore avec amusement.

Malgré leur scepticisme de départ, la famille des jeunes filles a remarqué les efforts qu’elles déployaient dans leur projet et le soutien qu’elles commençaient à obtenir lors de leurs visites hebdomadaires à la municipalité. « Le véritable changement s’est produit lorsque nous avons invité le mukhtar (figure d’autorité locale considérée comme le chef du village) et toutes les personnes importantes de la région à venir suivre notre travail », expliquent les sœurs. « Ils ont approuvé le projet, nous ont félicitées et souhaité bonne chance, et ils ont commencé à nous soutenir ».

Un petit pas dans l’entrepreneuriat

Les sœurs Ismail ont commencé modestement : avec 10 dollars en poche, elles ont développé une idée basée sur le carton et le plastique, à la suite de conversations avec des professionnels du secteur de la gestion des déchets, des restaurants et des experts en engrais. « Rapidement, nous sommes passées aux étapes 2 et 3, qui nous ont coûté respectivement 50 et 250 dollars », se souvient Zeinab, en montrant un graphique qu’elles ont élaboré pour leurs présentations aux investisseurs.

À chaque étape, les sœurs ont construit leur propre équipement, grâce au soutien indéfectible de leur père. Une fois le premier lot produit, elles se sont rendues chez un agriculteur voisin et lui ont demandé d’essayer leur engrais dans son champ.

« C’est alors qu’il nous a demandé le prix d’achat, nous n’en revenions pas ».
Les sœurs nous montrent fièrement la photo de Khaled, leur premier client, debout au milieu d’un champ où il a essayé le Garbaliser. Les résultats ont été impressionnants.

« C’est à ce moment-là que nous nous sommes rendu compte que nous allions avoir besoin d’aide supplémentaire. Nous avions une usine, nous avions une idée, mais nous manquions de compétences pour en faire une entreprise à part entière », explique Hanan, en mentionnant le programme WEEL, une initiative financée par l’UE qui soutient les femmes d’affaires libanaises avec des subventions allant de 15 000 à 50 000 euros.

Mis en œuvre par Expertise France via l’incubateur local Berytech, WEEL aide 18 MPME et start-up à couvrir les investissements, les dépenses et l’assistance technique.

« Grâce à WEEL, notre activité a décollé : nous avons validé notre idée commerciale, nous nous sommes développés, nous sommes entrés sur le marché, et nous avons noué des contacts avec des partenaires potentiels. Ils nous ont également aidées à adapter notre produit aux besoins des clients : nous les avons rendus inodore et très concentrés, avec un emballage de haute qualité », explique Zeinab.

Les sœurs ont également réussi à acheter un système à énergie solaire et les machines dont elles avaient besoin pour passer à l’échelle supérieure.

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Priorité à l’impact social

Les sœurs avaient besoin de se développer pour se concentrer sur leur véritable objectif : leur communauté. Outre vendre leur produit au prix le plus abordable pour les agriculteurs, elles cherchent également à avoir un véritable impact socioéconomique et environnemental sur leur région.

« Nous offrons des réductions sur nos produits si les gens ramènent leur bouteille afin d’éviter les déchets. Nous encourageons le recyclage et le zéro déchet en collectant gratuitement les déchets des gens ».
« Nous espérons devenir une zone zéro déchet dans quelques années. Les journaux titreraient : Brital devient la première zone sans déchets au Liban ». Hanan fait preuve d’enthousiasme, mais c’est avant de reprendre son ton sérieux en nous expliquant sa vision de l’autonomisation.

« Nous sommes de bonne foi. Nous voulons vraiment aider les gens autour de nous et les aider à développer leurs compétences. Il est très difficile de trouver un emploi ici, alors si nous parvenons à les doter de compétences commercialisables, ils seront en mesure d’accéder à de meilleures postes, que ce soit avec nous ou avec d’autres entreprises ».

Elles considèrent le programme WEEL comme la première étape d’un cercle vertueux. « Si quelqu’un me soumet une idée, je veux pouvoir l’aider à découvrir la bonne façon de la concrétiser. Berytech et WEEL l’ont fait pour nous, alors nous le ferons pour les autres ! »

« Pour être honnête, notre région a une mauvaise réputation et les gens ont souvent des idées préconçues à son sujet. À présent, j’espère que les gens commenceront à être fiers de dire qu’ils viennent de Brital, que c’est un village très innovant », se réjouit Hanan en riant de bon cœur.

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Le projet

LE PROJET D’AUTONOMISATION ÉCONOMIQUE DES FEMMES AU LIBAN (WEEL) vise à soutenir les entreprises détenues et dirigées par des femmes au Liban en accordant à 8 à 20 PME et start-up des subventions allant de 15 000 à 50 000 euros. Ces subventions serviront à investir, couvrir des dépenses et bénéficier d’une assistance technique. Le projet est une initiative du programme-cadre European Union for Women’s Empowerment (EU4WE).

 

À propos du programme

EU4WE a été lancé par l’Union européenne en octobre 2019 pour une durée de 42 mois.

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