Mamadou, Hamza, Anna, Myriam… Comme eux, de très nombreux enfants et jeunes migrants issus d’Afrique sub-saharienne se retrouvent, chaque année, en situation d’extrême vulnérabilité au Maroc. Après des périples des plus dangereux pour fuir leurs pays d’origine, ils se retrouvent dans un pays dont ils ne connaissent rien ou presque. En situation irrégulière, ils ne disposent pas de droits ou si peu. Leurs rêves d’un lendemain meilleur auraient pu complètement s’évaporer et leur quotidien aurait été un calvaire, n’eût été le programme « Hijra wa Himaya », financé par l’UE et mis en œuvre par l’UNICEF sur une période de 3 ans.
« Je veux fonder une coopérative. Avec Mamadou et les autres jeunes de l’Association, je rêve d’un projet qui génère des revenus pour préserver notre dignité. Nous cherchons la stabilité et voulons nous sentir en sécurité. Mais tout d’abord, nous avons besoin d’obtenir un permis de séjour », affirme le jeune Hamza d’un air timide teinté toutefois d’espoir. A 15 ans et originaire du Cameroun, il a est l’un des protégés de l’association CHABIBA pour les Personnes à Besoins Spécifiques. Située à Oujda, à l’Est du Maroc, l’association a pris en charge une trentaine de jeunes depuis un an. Oeuvrant depuis les années 80 en faveur des enfants et de leur intégration sociale, CHABIBA est l’une des associations partenaires de l’UNICEF dans le cadre du projet « Hijra wa Himaya ».
« Je suis arrivé au Maroc depuis 16 mois, après avoir traversé illégalement les frontières du Niger puis l’Algérie avec d’autres migrants, mineurs et adultes. Des intermédiaires et des trafiquants nous ont facilité la traversée », nous confie Hamza dans un joyeux mélange de langue française et de dialecte marocain. Il dit avoir quitté son pays après le décès de son père et l’incapacité de sa mère à payer ses études. Il rêvait d’arriver en Europe mais ses projets d’avenir se sont heurtés, sur le terrain, au renforcement des contrôles au niveau des frontières entre le Maroc et l’Europe. Incapable de poursuivre sa traversée, il s’est retrouvé dans une situation de vulnérabilité tout comme Mamadou (17 ans) qui a fui les affrontements meurtriers dans les quartiers de Hamdallaye en Guinée-Conakry. Les deux jeunes garçons ont passé les premiers mois à faire la manche dans le rues d’Oujda pour trouver de quoi manger et payer les 700 Dirhams (65 Euros) de frais de loyer pour la pièces exiguë, sans aération ni toilettes, qu’ils partageaient avec six autres migrants. En plus de la précarité de leur situation, ils subissaient au quotidien des actes d’humiliation et de discrimination. Mais plus que tout, ils vivaient avec la peur au ventre, de peur d’être arrêtés par la police
Mais une bonne étoile veillait sur eux, semble-t-il. Il y a un an, Hamza et Mamadou ont été recueillis à Oujda avec une vingtaine d’autres mineurs par Hajja Houria Aradh, présidente de l’Association CHABIBA, dont l’engagement en faveur des enfants en difficulté n’est plus à démontrer. Elle a dû régler les dettes de chacun auprès des bailleurs et des épiciers du quartier pour pouvoir les emmener vivre au siège de l’association et leur permettre de bénéficier du programme « Hijra wa Himaya ».
Maman Houria
D’une voix émue, Hajja Houria se remémore : « Quand je les ai rencontrés pour la première fois, ils étaient en situation de quasi-détention chez une femme qui exigeait que leurs parents leur transfèrent de l’argent pour régler leurs dettes. Je n’ai eu d’autre choix que de régler moi-même leurs dûs pour pouvoir les prendre avec moi. Impossible de ne pas compatir à leur malheur. Ils avaient faim. Leurs chaussures étaient déchirées, leurs cheveux rêches, leurs pieds crevassés. Ils étaient en piteux état. » Mélancolique, elle ajoute: « Je ne comprends pas comment des mères peuvent laisser leurs enfants partir vers l’inconnu ? Ils ont connu beaucoup de difficultés. Ils ont traversé des forêts et des déserts. Ils ont subi les pires exactions et le harcèlement. Ils ont eu faim pendant des jours et des semaines. Ils ont perdu beaucoup de poids. Ils ont manqué de tout et surtout de soutien et d’affection parentale ».
Depuis qu’ils ont rejoint l’association il y a un an, c’est un vrai combat au quotidien que mène Hajja Houria pour leur offrir une vie digne et des conditions humaines afin qu’ils puissent dépasser les épreuves qu’ils ont traversées : « Ils ont déjà parcouru un long chemin et j’en suis vraiment fière ». A l’unisson, Hamza et Mamadou lancent d’une même voix reconnaissante : « Merci beaucoup maman ! » Maman, c’est ainsi que l’appellent les jeunes migrants tant Hajja Houria fait preuve de bienveillance et de gentillesse à leur égard.
La vie durant la pandémie
Tout au long de l’année, l’association organise des activités diverses et conduit plusieurs programmes au profit de ses protégés. Mamadou en parle : « J’ai appris à faire le couscous et j’ai été initié aux règles de base de la cuisine traditionnelle marocaine. J’ai aussi appris à préparer divers plats tels la pizza, les tacos et les paninis. Je suis également des cours d’informatique, de français et de marocain dialectal ». Les formations et le suivi assurés par l’association ont fait renaître l’espoir chez lui et tous les jeunes. Le regard pétillant, il lance: « « Je veux avoir un bel avenir. J’ai de grands rêves ». S’ils regardent aujourd’hui l’avenir d’un oeil serein grâce au projet « Hijra wa Himaya », Mamadou, Hamza et les autres auraient pu vivre un cauchemar lors de la pandémie de la Covid-19 s’ils avaient continué à mendier dans les rues d’Oujda. Durant trois mois, la ville a imposé un confinement strict à cause du coronavirus. Que serait-il advenu de ces jeunes? En dépit des campagnes de soutien et de solidarité, la pandémie a foudroyé l’existence de très nombreux migrants et eu de graves répercussions sur leur quotidien. Du jour au lendemain, les rues du Maroc se sont vidées et personne n’osait plus sortir de chez lui, privant ainsi les migrants d’une grande part de leurs revenus et notamment les recettes de la mendicité.
Heureusement pour eux, cela n’a pas été le cas de Hamza et Mamadou. Nourris, logés et surtout encadrés, les deux jeunes suivent actuellement des cours de cuisine et de pâtisserie, ne cachant pas leur fierté de porter l’uniforme bleu et blanc et bleu des chefs. Ils disent apprécier leur séjour à l’association où ils peuvent aussi regarder la télévision et communiquer régulièrement via WhatsApp avec les membres de leurs familles et leurs amis dans leurs pays respectifs. Mamadou confie: « Je voudrais obtenir un titre de séjour régulier et fonder une société ou une coopérative. J’ai tellement appris au sein de l’association. Je veux travailler et construire ma vie mais surtout je veux témoigner de ma reconnaissance envers l’association et me rendre utile à mon tour envers ceux qui en ont besoin ». Hamza, quand à lui, émet le souhait de voir les familles mieux s’occuper de leurs enfants. Il confie: « La famille est importante et sa protection est nécessaire. Je voudrais que les familles fassent plus attention à leurs enfants pour qu’ils n’aient pas à subir ce que moi et mes amis avons enduré. Le message que je voudrais passer aux autorités est que j’ai besoin de régulariser mon statut légal pour qu’il me soit possible de fonder une coopérative avec mes amis. Le Maroc offre beaucoup d’opportunités et nous avons besoin d’encore plus d’appui pour aller de l’avant ».
Hajja Houria a d’ailleurs minutieusement préparé le dossier requis pour la régularisation de la situation des deux jeunes hommes. Elle déclare: « Tous les documents ont déjà été transmis à police et au tribunal. J’aspire à une suite positive pour que nous poussions fonder la coopérative avec ces jeunes. Ils sont en mesure de réaliser beaucoup de choses pour eux-mêmes et pour le Maroc, mais ils ont d’abord besoin d’obtenir leurs papiers ». Pendant les dernières semaines du confinement, Hajja Houria a travaillé avec l’équipe de l’association, composée de volontaires et d’employés, sur la formation des migrants mineurs aux procédures de création et de gestion des coopératives. Par ailleurs, l’association CHABIBA a signé des conventions de formation avec près de 32 entreprises locales pour offrir à ces jeunes des stages de formation et d’apprentissage qui leur permettront d’acquérir davantage de compétences afin de trouver du travail et favoriser ainsi leur intégration dans le tissu économique et social marocain. « Je ne les lâcherai jamais. Ils sont comme mes propres enfants. Ce n’est que lorsque je serai pleinement rassurée sur leur avenir et convaincue que je les laisserai voler de leurs propres ailes, et pas avant d’être sûre qu’ils peuvent s’assumer pleinement » conclut-elle.
Redonner goût à la vie
En plus de l’association CHABIBA au Nord-Est du Maroc, le programme Hijra wa Himaya apporte son soutien aux efforts de la Fondation Orient Occident dans la ville de Tanger au nord du pays. Cette ville côtière constitue le point du continent africain le plus proche des territoires de l’Union européenne (14 kms). En effet, à partir de Tanger, il est possible d’apercevoir l’Europe et la ville a donc toujours attiré tous ceux qui rêvent d’atteindre le vieux continent. La Fondation Orient Occident est une association d’intérêt public à but non lucratif, qui a vu le jour au milieu des années 90. Elle a pour mission de former les jeunes des quartiers défavorisés dans les domaines social, éducatif et professionnel pour leur permettre de dépasser les difficultés auxquelles ils font face. Partenaire de l’UNICEF sur le projet Hijra wa Himaya, la Fondation a axé son travail, au cours des deux dernières décennies, sur les migrants et les réfugiés.
Carmen Roméro, responsable du bureau à Tanger, évoque l’exemple de Thérèse et de ses 5 enfants, arrivés de Côte d’Ivoire il y a un an. Ils ont quitté leur pays d’origine fuyant les ravages de la guerre. La famille a passé de longues années dans un camp de réfugiés au Ghana avant d’arriver au Maroc en 2019. « Si seulement vous saviez toute ce que nous avons enduré. Nous voulions nous installer dans un endroit où les conditions de vie sont meilleures. Nous avons cherché un moyen de transport mais cela n’était pas du tout facile parce que nous étions nombreux. Nous avons mis un peu d’argent de côté pour que nous puissions quitter le Ghana dans un bus. Nous avons passé près de quatre jours entassés derrière les marchandises avant d’arriver au Mali. De là nous avons pris un autre bus qui a mis 5 jours pour nous mener jusqu’en Mauritanie. Nos pieds étaient enflés parce que nous étions accroupis tout le long du voyage » se remémore Thérèse avec chagrin. « Nous avons passé 5 ans et six mois en Mauritanie avant de traverser les frontières vers le Maroc pendant lesquels j’ai dû travailler péniblement avec mes 5 enfants pour avoir de quoi payer la traversée. Je ne trouve pas les mots justes pour décrire toutes les difficultés endurées avant d’arriver ici un certain 24 février 2019 » ajoute-elle.
Une fois à Tanger et après avoir bénéficié avec ses enfants de l’aide apportée par la Fondation Orient Occident, la mère de famille n’est plus obnubilée par le désir de partir en Europe. Elle semble être heureuse et relativement rassurée quant à l’avenir. Elle affirme vouloir trouver un travail décent qui lui assurerait une vie digne et lui permettrait d’envoyer ses enfants à l’école pour apprendre et construire leur avenir.
Trois des cinq enfants de Thérèse sont encore mineurs dont Anna et Myriam. Les deux jeunes filles poursuivent leurs études dans des établissements dédiés à l’enseignement informel, appelés au Maroc « Ecoles de la deuxième chance ». Ces écoles étatiques ont ciblé pendant l’année scolaire écoulée près de 67 000 enfants et adolescents en partenariat avec 499 associations et pas moins de 1 400 éducateurs. Il s’agit d’un programme qui permet aux enfants et aux jeunes, dont les enfants migrants, en situation d’abandon scolaire de retrouver les bancs de l’école. Par ailleurs, les deux filles de Thérèse bénéficient d’une formation assurée par le centre d’accueil des migrants de la Fondation Orient Occident dans diverses spécialités telles que l’informatique, la coiffure et l’esthétique. L’oeil vif et le sourire timide, Myriam confie : « Je lis mes livres et j’essaie d’apprendre l’arabe classique et dialectal. J’aime presque tout à l’école. Grâce à l’association, j’ai enfin des amis. Je suis très reconnaissante pour toute l’aide qui nous a été apportée pendant la période de confinement ». Myriam rêve de terminer ses études et de devenir chirurgienne mais sa petite sœur Anna hésite encore quant au métier qu’elle voudrait exercer à l’avenir : « Je peux aussi devenir médecin parce qu’il y a beaucoup de gens malades que je pourrais soigner et sauver ».
« Si Anna et Myriam se montrent aujourd’hui optimistes et sont capables de s’amuser c’est grâce au processus de reconstruction psychologique dont elles ont bénéficié afin de réparer les séquelles des traumatismes qu’elles ont subis », explique Khaoula Charkaoui, psychologue auprès de la Fondation Orient Occident, chargée d’accompagner les bénéficiaires du programme Hijra wa Himaya à Tanger. Elle ajoute que ces enfants nourrissent un sentiment profond de solitude : « Ils ont parcouru de longues distances et ont connu des évènements traumatisants. Ils ont été victimes ou témoins de violences sexuelle, physique et psychologique. Ils ont perdu certains de leurs proches et compagnons de voyage. De telles épreuves sont difficiles à supporter surtout que la plupart d’entre eux ont été séparés de leurs familles et de leurs repères habituels pour se retrouver dans un pays tellement différent du leur. »
L’intérêt supérieur de l’enfant migrant
Giovanna Barberis, représentante de l’UNICEF au Maroc, explique que le projet « Hijra wa Himaya », financé par l’Union européenne, comprend plusieurs grands axes dédiés aux jeunes migrants : l’accompagnement juridique, légal et administratif, l’accès équitable à l’éducation, aux soins de santé et aux services sociaux et l’hébergement dans de centres jusqu’à leur majorité. Elle déclare: « Le projet, qui bénéficie actuellement à 2 000 enfants migrants, a été pensé et mis en place de façon à faire primer l’intérêt supérieur des enfants en apportant une réponse globale à leurs besoins en collaboration avec nos partenaires institutionnels et la société civile. Toutes les mesures et les décisions prises dans le cadre de Hijra wa Himaya convergent dans ce sens. Plus que jamais durant la pandémie, cette prise en charge globale des jeunes migrants, sans discrimination aucune, a prouvé son efficience et montré de bons résultats. »
Le projet « Hijra wa Himaya », dont la mise en œuvre s’étend entre mars 2018 et mars 2021, prévoit également des activités de renforcement des capacités dédiées aux assistants sociaux, aux professionnels de santé, aux enseignants, aux agents de sûreté, aux professionnels de la justice et aux acteurs de la société civile. Le projet œuvre ainsi à faire respecter par tous l’intérêt supérieur de l’enfant migrant.
Une meilleure gouvernance de la migration
Claudia WIEDEY, ambassadeur de l’Union européenne au Maroc affirme que l’UE, en contribuant au financement du projet à hauteur de 1,8 millions d’euros sur un budget global de 2,4 millions d’euros, vise en plus de la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, à soutenir le Maroc dans ses efforts pour établir une meilleure gouvernance de la migration afin de mieux endosser son nouveau rôle de pays de destination pour plusieurs migrants notamment ceux en provenance d’Afrique sub-saharienne et notamment les enfants qui constituent la catégorie la plus fragile de cette population. Elle déclare: « L’appui de l’Union européenne au profit du Maroc fait partie d’un effort plus global visant à intégrer les politiques de la migration dans un cadre législatif et opérationnel basé sur les droits de l’homme. Cet appui reflète notre position responsable par rapport à la question de la migration et de l’asile qui ne pourra être réglée que progressivement, en adoptant une approche et un dialogue intégrés avec les pays africains dont le Maroc et des stratégies nationales pour la migration et l’asile avec un volet réservé aux enfants migrants ».
Les migrants mineurs constituent actuellement plus de 10% du nombre total des migrants à travers le monde qui a avoisiné les 272 millions en 2019. Au Maroc, ce taux est de 8,73% d’après les données fournies par le Conseil national des droits de l’homme, à partir des statistiques relatives à la régularisation administrative des étrangers en séjour irrégulier au Maroc.