Le Green Centre au Camp de réfugiés Azraq: Des réfugiés syriens nettoient les rues pour un avenir meilleur

Juin 24, 2020
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Au beau milieu du désert jordanien, un camp accueillant près de 37 000 réfugiés syriens a réussi à s’imposer comme un modèle de gestion des déchets respectueuse de l’environnement. Grâce au Programme de gestion écoresponsable des déchets solides, financé par l’UE, le camp d’Azraq a mis en œuvre une approche unique en matière de recyclage et de gestion des déchets incarnée par son installation de pointe « Green Centre », gérée par World Vision. Depuis sa création en 2016, le programme a fourni un emploi à 1 409 Syriens, améliorant nettement les conditions de vie des résidents tout en s’attaquant à l’un des problèmes les plus urgents de la Jordanie : la gestion des déchets.

Mahmoud, un petit homme énergique au large sourire communicatif, ne laisse rien transparaître des épreuves qu’il a traversées ces dernières années. Il y a quatre ans, ce père de huit enfants a été contraint de renoncer à sa vie confortable à Hama, en Syrie, à cause de la violente guerre civile, perdant ainsi tout ce qu’il possédait.

Pourtant, Mahmoud s’estime heureux. « Les autorités jordaniennes ont fait preuve d’une grande générosité et de gentillesse, elles nous ont beaucoup aidés. Leur accueil nous a fait oublier toutes les souffrances et les difficultés que nous avons subies en Syrie. » Il garde en particulier un souvenir très présent de son périple pour rejoindre Azraq : la première fois qu’il a pu utiliser à nouveau des toilettes propres. « J’avais l’impression de renaître ! »

Ce détail peut sembler anodin au regard des situations tragiques qu’il a surmontées, mais, pour Mahmoud, le fait d’avoir accès à des installations hygiéniques et à un environnement propre changeait la vie, l’hygiène étant une valeur profondément ancrée dans la culture au Moyen-Orient.

Changer les mentalités, nettoyer les rues

Déterminé à élever ses enfants dans un environnement décent reflétant cette valeur, Mahmoud s’est intéressé au Programme de gestion des déchets solides dont lui avait parlé une de ses connaissances. « Pour être tout à fait honnête, si j’ai rejoint ce projet, c’est avant tout parce que j’avais besoin d’argent. Mais aussi parce que, de façon générale, le camp n’était pas très propre. Par exemple, on pouvait trouver des couches-culottes usagées dans les rues, ce qui était très insalubre. »

« Je voulais contribuer à la sensibilisation en expliquant aux gens comment mieux se débarrasser des déchets. » S’il reconnaît qu’il était déjà « quelque peu familiarisé avec la gestion des déchets », Mahmoud précise que le fait de participer au projet a considérablement enrichi ses connaissances puisqu’il a appris à trier les déchets et à les gérer de différentes façons. Il déclare: « Pour moi, la gestion des déchets se limitait au fait de ne pas jeter le plastique ou le métal et d’éliminer les liquides différemment. Mais, au fil du temps, j’ai pris conscience de beaucoup plus de choses et j’ai commencé à travailler en tant que superviseur pour plusieurs villages à l’intérieur du camp pour faire passer le message. »

La campagne pour encourager les changements de comportement à laquelle Mahmoud a participé est l’un des trois piliers du Programme de gestion des déchets solides, avec le Green Centre et l’opération de ramassage des détritus lancée dernièrement. Cette campagne menée par une quarantaine de volontaires syriens comprend des séances de sensibilisation dans le cadre de réunions communautaires et auprès des foyers, des écoles et des centres dédiés aux enfants, afin d’encourager les gens à trier et à recycler leurs déchets chez eux. « Je leur explique comment trier correctement leurs déchets », déclare Mahmoud en montrant les barils alignés dans la rue, facilement identifiables grâce au code couleur : bleu pour les déchets secs et vert pour les déchets humides.

Valeurs personnelles

Khalid, l’un des participants aux séances de sensibilisation, explique que ce projet faisait véritablement écho à ses propres valeurs. « Comme vous le savez, pour nous, au Moyen-Orient, l’hygiène est prioritaire, c’est pourquoi je veillais déjà à ce que mon abri soit très propre tout en m’assurant que mon épouse et mes cinq enfants savaient comment utiliser au mieux les poubelles et les sacs en plastique à l’intérieur. » Bien qu’il n’ait jamais été employé officiellement dans le cadre du programme, Khalid a régulièrement prêté main forte à l’équipe pour animer des séances de sensibilisation et en a parlé volontiers à ses connaissances. « La propreté fait partie intégrante de notre culture et nous ne devons pas y renoncer ici, surtout après avoir reçu le matériel nécessaire au recyclage. »

Pour Hasmik Kocharyan, la responsable du Programme de gestion des déchets solides, c’est précisément cette approche innovante qui a contribué à la pérennité du projet. « Azraq gérait déjà les déchets auparavant, mais cela restait très limité en termes d’ampleur, de rentabilité et de protection de l’environnement. » En impliquant directement les communautés locales dans chaque étape du processus, les avantages de la gestion des déchets deviennent évidents pour tous. « Bien sûr, un tel changement de comportement prend des années. Cela requiert une certaine stabilité, qui n’est pas toujours garantie dans un contexte humanitaire. De plus, les gens ont beaucoup d’autres problèmes à régler », admet-elle, notant néanmoins les efforts déployés pour adapter la campagne aux bénéficiaires. « Le message que nous voulons leur faire passer est que, même s’ils vivent dans ce qu’ils considèrent comme un environnement temporaire, de tels changements amélioreront leurs conditions de vie, ne serait-ce que pour une année. Nous insistons également sur l’impact que cela peut avoir sur leurs voisins et les membres de leur famille. »

Et cela fonctionne. Grâce au système de poubelles bleues et vertes, « les résidents participent désormais activement à cette approche unique en effectuant un premier tri des déchets avant qu’ils ne soient acheminés au Green Centre, ce qui réduit considérablement la charge de travail résultant de la collecte de déchets non triés », ajoute-t-elle.

 

Le Green Centre : une installation respectueuse des standards internationaux de l’environnement 

Pièce maîtresse du Programme de gestion des déchets solides, le Green Centre est une installation de pointe dédiée au tri et au recyclage des déchets collectés dans le camp de réfugiés qui s’étend sur 14,7 km2. Depuis sa construction en 2017, le centre a pu traiter environ 17 tonnes de déchets par jour et jusqu’à 500 tonnes par mois. Ces énormes volumes de déchets secs et humides sont triés et traités par 56 volontaires syriens, qui ont suivi une formation spécialisée et bénéficié d’un soutien de la part des 22 membres de l’équipe chargée du suivi du projet.

Sur les 500 tonnes de déchets collectés mensuellement, jusqu’à 40 tonnes sont récupérées et vendues à des acheteurs locaux, générant ainsi plus de 3 000 dinars jordaniens (près de 4 000 euros) par mois. Ces revenus permettent de couvrir les coûts d’exploitation du centre, ainsi que les frais pour l’envoi des déchets non recyclables à la décharge située à proximité. Or, avec le cercle vertueux déclenché par la mise en œuvre de la campagne destinée à changer les comportements et le tri des déchets qui en a découlé, même les frais réglés à la décharge ont baissé, le volume de déchets solides qui y sont envoyés ayant été réduit à 514 tonnes par mois.

Sur l’ensemble des déchets collectés, la proportion de matériaux recyclés est exceptionnellement élevée pour un camp de réfugiés, jusqu’à 14 % de matériaux secs étant recyclés chaque mois. « Un chiffre légèrement inférieur à la moyenne mondiale qui s’explique par le fait que les résidents du camp réutilisent déjà les boîtes métalliques et autres matériaux pour leurs besoins quotidiens », souligne Hasmik. Et si tout cela n’est pas assez impressionnant : les bureaux du Green Centre dans le camp fonctionnent exclusivement à l’énergie photovoltaïque !

Transformer les déchets en opportunités multiples

Si la perspective de collecter et de manipuler des ordures pour gagner sa vie est généralement associée à des connotations négatives, le projet de gestion des déchets solides a redonné de la noblesse à cette activité. Dans le camp d’Azraq, les déchets sont désormais perçus comme une source de changement positif et d’opportunités en termes de stabilité économique, d’intégration sociale, d’amélioration de la santé mentale et de changement environnemental. Au début, plus de 200 réfugiés syriens ont bénéficié des opportunités de travail contre une rémunération grâce à une rotation bimensuelle des postes de volontaires. Les chauffeurs de camion, les éboueurs, les agents de mobilisation communautaire et les trieurs font tous l’éloge du programme, qu’ils considèrent comme « une opportunité qui a changé leur vie ».

« En tant que chef de famille, je sentais que je n’offrais pas grand-chose à mes enfants », se souvient Mahmoud. « Je suis resté sans emploi pendant un an et demi et nous dépendions des subventions pour recevoir de l’aide. » Depuis qu’il a commencé à travailler en tant qu’agent de mobilisation communautaire, Mahmoud a réussi à rembourser les dettes qu’il avait contractées dans le camp, tout en s’occupant des choses de la vie qu’il menait en Syrie et qui lui manque.

Rêver de nouveau

Zaheedeh, plus connue sous le nom d’Oum Ghazi, fait également l’éloge de l’impact du projet SWM. Cette mère de trois enfants a travaillé avec l’équipe, préparé du café et du thé et nettoyé les installations. « Grâce à ce projet, j’ai perçu un revenu et j’ai pu subvenir à tous les besoins de mes enfants », raconte-t-elle. « J’ai enfin eu la possibilité de prendre soin de ma maison et de nourrir ma famille.»

Pour Oum Ghazi, faire face à la pandémie COVID n’a pourtant pas été facile. Son mari a été enfermé à l’extérieur du camp et n’a pas pu rejoindre sa famille. Zaheedeh a donc utilisé ses revenus pour subvenir aux besoins de ses enfants, y compris ceux de sa fille, mariée et mère de 4 enfants. «J’espère que le projet va se poursuivre, se développer et offrir plus de possibilités de travail!»

Hussein, 45 ans, qui travaille au centre en tant que trieur, éprouve des sentiments similaires. « Mon travail en tant que volontaire me permet d’acheter plus de nourriture pour ma famille. Mais, surtout, il me donne le sentiment d’avoir un but. » Ce regain d’optimisme et cette nouvelle source de revenu n’ont pas concerné uniquement les bénéficiaires directs du programme, des répercussions ayant été constatées dans toutes les catégories de personnes vivant dans le camp.« J’ai vu de grands changements s’opérer progressivement grâce à cette excellente initiative », explique Khalid. « Les gens sont davantage sensibilisés et ont commencé à trier leurs ordures. Pour moi, il est évident que les comportements ont évolué. Cela aura sans aucun doute des répercussions à l’avenir et dans ma vie, celle de mes cinq enfants et de tout le monde. » Oum Ghazi approuve ces dires et affirme ressentir «un changement considérable à l’intérieur du camp». «Je ne vois pas d’insectes. Le camp est bien meilleur et plus propre et les enfants ont cessé de jouer avec les ordures parce qu’elles n’y sont plus.»

Mahmoud partage cette opinion, ajoutant même : « J’ai constaté un énorme changement dans le camp. Il est plus propre, l’environnement est plus agréable et on s’y sent mieux, les gens ne mélangent plus tous les types de déchets et ils ont pris conscience de la manière de gérer correctement les déchets. » « Ce projet est un franc succès », poursuit-il en faisant part d’un de ses rêves récents : « Je pense qu’il aura beaucoup d’impact dans ma vie car je songe à suggérer l’idée d’une gestion appropriée des déchets dans la région où je retournerai. »

Une initiative de l’Union européenne

Le Programme de gestion écoresponsable des déchets solides a été financé par l’Union européenne, par le biais du Fonds Madad, et par le ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement (BMZ). Il a été mis en œuvre par World Vision en partenariat avec l’agence allemande de coopération au développement (GIZ).

La deuxième phase du projet, qui a débuté en janvier 2020 pour une durée de 35 mois, a reçu un financement global de 5,6 millions d’euros.

Le Fonds régional d’affectation spéciale de l’UE en réponse à la crise syrienne (Fonds « Madad ») a été créé en décembre 2014 en tant qu’instrument destiné à apporter une aide de l’UE aux réfugiés syriens et aux pays voisins de la Syrie. Il répond aux besoins éducatifs, économiques et sociaux des réfugiés syriens tout en soutenant les communautés locales et leurs administrations mises à rude épreuve.

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