Le premier club de self-défense réservé aux femmes au Moyen-Orient contribue à autonomiser les femmes dans le monde

Avril 27, 2023
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Voilà 12 ans que Lina Khalifeh a fondé SheFighter, un club de self-défense réservé aux femmes en Jordanie. Entre-temps, son projet s’est étendu pour toucher 25 000 femmes dans le monde, y compris plus de 700 entraîneuses certifiées. Fervente avocate des droits des femmes, la Jordanienne a parcouru le monde pour contribuer à autonomiser ses égales et leur apprendre comment se faire entendre.

Lorsqu’on écoute Lina Khalifeh, on a tendance à oublier qu’elle aussi a été victime de harcèlement et de discrimination. La force et la conviction qui émanent de l’entrepreneure jordanienne ont le pouvoir envoûtant de vous laisser croire qu’elle a en effet atteint cet état d’« autonomisation totale ».

Pourtant, l’histoire commence bel et bien avec une affaire d’abus, lorsqu’en 2010, elle découvre que l’une de ses amies de l’université a été abusée à plusieurs reprises par des hommes de sa famille. Lina se souvient : « Tout au long de mon enfance, j’ai été harcelée et je me suis toujours demandé pourquoi nous devions accepter cette violence, juste parce que nous sommes des femmes. »

Lina Khalifeh commence à donner des cours de self-défense dans le sous-sol de son immeuble, à deux clientes dans un premier temps. Pour ce faire, elle puise dans sa maîtrise des arts martiaux, qu’elle peaufine depuis qu’elle a 5 ans : taekwondo, boxe, kung-fu ou kickboxing, elle a tout essayé. Elle exploite aussi les quelques connaissances entrepreneuriales glanées pendant ses études et fonde petit à petit sa société. « Mes proches m’ont toujours soutenue. J’ai grandi dans une famille d’entrepreneurs qui m’ont appris que si je voulais quelque chose et que j’avais l’énergie positive pour l’obtenir, je pourrais toujours atteindre mon objectif. »

Aujourd’hui, Lina a parcouru bien du chemin depuis ses débuts dans l’entrepreneuriat. Au cours des 12 dernières années, l’experte en arts martiaux s’est vu décerner l’award « Economic Empowerment Leadership » par l’ancien président des États-Unis, Barack Obama, qui l’a qualifiée de « leader du changement social », a reçu les honneurs d’Hillary Clinton en 2018 et a même entraîné la superstar Emma Watson.

Mais Lina Khalifeh ne court pas après la gloire, loin de là. « Je veux faire comprendre aux femmes qu’elles peuvent – et doivent – revendiquer leurs droits. Qu’elles ne doivent pas craindre d’être opprimées par les hommes. Ce sont les femmes qui doivent réinventer le système parce que personne ne va le faire à leur place », affirme-t-elle.

 

L’autonomisation des femmes à l’origine de tout

Lorsqu’on lui demande si elle se considère comme une féministe, Lina répond : « Je pense que tout le monde doit agir en faveur de l’équité. Tout le monde doit être féministe dans le sens où, si une personne est plus qualifiée qu’une autre, c’est à elle que doit revenir le poste. Et à personne d’autre, et surtout pas à un homme parce qu’il est un homme. »

Elle sait bien qu’elle ne renversera pas l’oppression patriarcale du jour au lendemain, mais elle insiste sur un point : « En particulier au Moyen-Orient, ce sont les femmes qui s’occupent de leur ménage. Elles peuvent amorcer le changement dans leur famille et créer un mouvement positif de l’intérieur. »

Et elle poursuit : « C’est leur mentalité qui doit changer en premier lieu. Les femmes doivent croire en elles, en leur valeur et en leur pouvoir. Et, par conséquent, en le pouvoir de leurs filles, de leurs sœurs et de leurs amies. »

Pour atteindre cet objectif, le projet SheFighter ne se limite pas à proposer des entraînements physiques. Il aborde plutôt l’autonomisation de manière plus globale, avec des exercices psychologiques et d’auto-introspection. « Nous leur apprenons à se défendre, mais nous les aidons aussi vraiment à scruter leurs propres croyances et à remettre leurs craintes en question. Nous voulons les aider à verbaliser les expériences négatives qu’elles peuvent avoir vécues », insiste Lina.

« Lorsqu’une femme vient pour la première fois, nous lui demandons d’adhérer à l’ensemble du programme, donc au volet physique, mais aussi au volet psychologique », explique l’entraîneuse Batoul Jaikat. Et elle confirme avoir « vu le degré de confiance en soi grimper en flèche chez les femmes participant aux ateliers ».

Yara, 15 ans, déclare avoir vraiment pris confiance en elle depuis qu’elle a rejoint le club : « J’ai appris à me faire entendre et à exprimer mon opinion dans certaines situations où je ne l’aurais pas fait dans le passé.

Son amie Tala confirme : « Je me sens plus forte, plus puissante. Avant, j’avais peur de prendre le taxi ou de marcher seule en rue. Mais maintenant, je sais comment me protéger en cas de besoin. »

« Je peux faire ce que je veux, la tête haute », conclut-elle avec un sourire.

 

Une goutte dans l’océan ? Le pouvoir du réseautage  

Voici quelques années, Lina Khalifeh a été invitée à participer au projet WoMED, une initiative soutenue par l’UE et portée par l’Union pour la Méditerranée, qui vise à renforcer les compétences de jeunes femmes prometteuses issues de la région du sud de la Méditerranée. Lors de ce séminaire, Lina a abordé les thèmes de la justice sociale, de l’équité et de la solidarité féminine.

« Pour être honnête, si je n’avais pas cru en le pouvoir du réseautage, je ne l’aurais pas fait ! », confie-t-elle en riant, soulignant combien la « lutte » peut être épuisante par moments. « J’ai failli tout abandonner à certains moments. J’avais épuisé mes ressources. Tellement de personnes ont essayé de me démolir, m’ont menacée, ont cherché à fermer mes clubs. »

C’est là que la ceinture noire de taekwondo laisse entrevoir son côté humain. Malgré tous ses succès et la reconnaissance publique, Lina livre de nombreuses batailles et se heurte encore à pas mal d’obstacles. « Il reste difficile de faire comprendre aux gens que ce que nous valorisons, ce n’est pas l’affrontement ou la violence, mais la force, les droits et la dignité. Je suis humaine et à force, le fait d’être critiquée en permanence peut t’empêcher d’évoluer. »

Mais malgré les affaires en justice, l’intimidation et les pressions pour qu’elle abandonne, Lina garde la tête haute. Elle applique la logique des cours où elle forme ses entraîneuses à sa vie et continue à aller de l’avant. « La vie est une succession de chapitres et d’étapes. Une fois qu’on arrive au bout d’une étape, on passe à la suivante, et ainsi de suite. »

Lina est une femme bienveillante et pleine d’empathie, qui se sert de son parcours pour inspirer des générations de femmes. Pendant la pandémie, SheFighter s’est étendu à l’Île Maurice, à la Corée du Sud et à l’Australie, faisant fi des barrières physiques et misant à fond sur le pouvoir de la solidarité féminine.

« Si, sur dix femmes qui participent à un cours, au moins une repart en ayant fait un pas en avant, mon objectif est atteint. J’ai une raison de continuer. »

« Non parce que j’ai envie de quitter la Jordanie, mais parce que je tiens à être plus forte la prochaine fois qu’ils essaieront de me rabaisser. »

 

 

Où trouver SheFighter ?

     

 

Le programme

L’Union pour la Méditerranée (UpM) est une organisation intergouvernementale euroméditerranéenne qui regroupe tous les pays de l’Union européenne et 16 pays du sud et de l’est de la Méditerranée.

Elle a pour mission de renforcer la coopération régionale, le dialogue et la mise en œuvre d’initiatives et de projets concrets ayant un impact direct sur les citoyens, en particulier les jeunes et les femmes, autour des trois priorités stratégiques de la région : stabilité, développement humain et intégration.

 

Le projet

WoMED – Femmes de la Méditerranée : la prochaine génération de leaders est un programme de formation intensive innovant portant sur l’autonomisation des femmes et les questions d’égalité entre les genres. Le projet a été labellisé par l’UpM en 2015 et s’inscrit dans la stratégie globale du Secrétariat de l’UpM pour la promotion de projets concrets d’émancipation des femmes et
d’égalité des genres dans la région euroméditerranéenne.

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