Depuis 2006, le « Prix Samir Kassir pour la liberté de la presse », financé par l’Union européenne, récompense des journalistes du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord (MENA) et du Golfe qui, à travers leur travail, consacrent leur vie aux droits de l’homme et à la démocratie, malgré les persécutions et menaces dont ils font l’objet.
De Beyrouth à Alger, en passant par Le Caire, Bagdad ou Damas, des journalistes du MENA et du Golfe sont récompensés chaque année depuis 2006, pour leur combat en faveur de la liberté d’expression et de la presse dans leur pays. Grâce au soutien de l’Union européenne (UE), la Fondation Samir Kassir décerne désormais annuellement trois prix à des journalistes pour leur travail sur les droits de l’homme et la démocratie, au moment où nous assistons à un déclin considérable des libertés dans de nombreux pays.
C’est le cas du jeune journaliste et écrivain algérien, Miloud Yabrir, 35 ans, lauréat 2018 du prix pour son article d’opinion intitulé « Un siège dans le noir », qui met en scène le système politique algérien dans une salle de cinéma, celle dans laquelle la première constitution algérienne a été adoptée et les péripéties du film politique algérien qui se poursuivent jusqu’à nos jours. Un article rempli d’émotions et d’amertume et d’une clarté inouïe sur la situation de l’Algérie, presque prémonitoire un an avant le début de la contestation populaire pour faire chuter le président Bouteflika, au pouvoir depuis 20 ans.
« J’ai présenté mon article pour le Prix Samir Kassir, pour avoir plus de lectorat. L’Algérie suscite très peu d’intérêt, contrairement à ce que mérite une puissance régionale limitrophe de l’Europe. Le pays est peu visible dans les medias internationaux à cause de l’opacité de son système politique et de ses centres de décision. L’Algérie était dans le statu quo politique, alors que la société était en train de vivre des mutations sur tous les plans. Je voulais que les autres lisent, en arabe, un texte différent sur la réalité algérienne. Le prix Samir Kassir avec sa renommée et sa neutralité dans le MENA ou la majorité des prix sont financés et influencés par les pays du Golfe, a constitué pour moi une occasion pour porter ma voix », affirme Miloud.
En 2013, le prix Samir Kassir pour la catégorie « reportage audiovisuel » a été décerné à une jeune journaliste libanaise de 22 ans, Luna Safwan, pour son reportage sur « La vie quotidienne des réfugiés syriens à Ersal ». La guerre en Syrie battait son plein, avec son lot de morts, de disparus et de réfugiés fuyant vers les pays voisins, les affres des violences et des bombardements. Le reportage est poignant, montrant avec beaucoup de clarté la vie quotidienne de réfugiés syriens, dans des camps de fortune au Liban, tout en préservant leur intimité et leur vie privée.
« J’avais préparé ce documentaire pour l’université, avant de le poster sur YouTube. Il a été par la suite diffusé sur des chaînes libanaises et syriennes », explique Luna. L’importance du documentaire est qu’il a été fait sans aucun soutien extérieur. Luna a tout fait et tout financé. « C’est un honneur pour moi d’avoir reçu le prix Samir Kassir, de porter son nom haut et fort », ajoute la jeune journaliste. « Le prix m’a donné une crédibilité en tant que journaliste, surtout que je venais de commencer ma vie professionnelle. J’étais une novice. Il a également aidé à donner plus de lumière sur des problèmes importants comme les droits des réfugiés. J’ai participé à plusieurs tables rondes et conférences pour parler de ces sujets ». En outre, le prix « a doublé, voire tripler ma confiance en soi. Sur le plan personnel, il m’a donné plus de motivation pour faire mieux à chaque fois. Comme si chaque projet est fait pour gagner un prix ».
Le prix représente également beaucoup sur le plan émotionnel pour Miloud. « J’étais à Beyrouth pour la première fois en 2015 pour présenter mon premier roman au Salon du livre. Mon éditrice libanaise Rasha el-Amir m’a invité le premier jour à un restaurant en face de la Place Samir Kassir, là où il y a sa statue, et ma première photo au Liban était avec lui en lui serrant la main ! Après trois ans j’étais à Beyrouth pour la cérémonie du Prix de la liberté d’expression dédié à sa personne et à son parcours exceptionnel. C’était une occasion pour moi de connaître un peu plus un autre intellectuel arabe engagé, de rencontrer et d’échanger avec des journalistes qui viennent de différents pays du MENA. Le prix, en valorisant mon article, m’a aussi consolé sur le plan personnel et m’a donné du souffle pour continuer à écrire et à espérer un avenir meilleur ».
Le combat de Samir Kassir se poursuit
Samir Kassir est né le 4 mai 1960 d’un père libano-palestinien et d’une mère libano-syrienne. Il a vécu son enfance à Beyrouth, avant de s’installer à Paris en 1981, six ans après le déclenchement de la guerre libanaise, pour poursuivre ses études universitaires. Au début des années 1990, Samir est rentré à Beyrouth pour enseigner à l’Institut des Sciences Politiques de l’Université Saint-Joseph et rejoindre la rédaction du journal An-Nahar. Ses articles et ses éditoriaux sont considérés comme les principaux écrits opposés à la mainmise syrienne sur le Liban et du règne sécuritaire libanais vassal de la Syrie durant cette période. Samir Kassir a été maintes fois menacé et son passeport confisqué. Il a été assassiné le 2 juin 2005 à Beyrouth, par l’explosion d’une bombe placée sous sa voiture. Sa mort s’inscrit dans le cadre des tentatives répétées de museler les libres penseurs libanais, après la révolution du Cèdre initiée en 2005.
La Fondation et l’UE
« Les camarades de Samir Kassir ont décidé de créer la fondation qui a un double but : journalistique et culturel », explique Jad Shahrour le porte-parole de la Fondation. C’est ainsi que se sont développées les activités de la fondation Samir Kassir pour dénoncer les violations des droits des journalistes et de la liberté de la presse. La Fondation organise par ailleurs un événement culturel annuel, intitulé « le printemps de Beyrouth » dont le but est de permettre à tous l’accès à la culture.
Le prix, qui a commencé au Liban, s’est élargi aux pays de la région. « L’idée n’est pas de commémorer la mémoire de Samir Kassir, mais de poursuivre son combat et son rêve » pour la liberté et la démocratie, non seulement pour le pays du Cèdre, mais pour les pays du MENA aussi, explique Jad, ajoutant : « Le prix est une illustration d’un combat et d’un langage communs entre les journalistes de ces pays ».
« Ce qui a boosté les activités de la Fondation Samir Kassir, c’est l’implication de l’UE dans le projet, en finançant et soutenant ce prix qui vise la liberté de la presse dans la région, et ce depuis 2006 », ajoute-t-il. L’UE finance entièrement le prix. La somme couvre non seulement les prix, mais toute la logistique qui l’accompagne, notamment la campagne publicitaire, les préparations et sélections avant la remise de la distinction, mais aussi le suivi après, comme l’archivage, l’entretien du site et le réseau créé.
Le concours est ouvert, conformément aux règles de l’UE, aux journalistes de la presse écrite ou audiovisuelle.
Les candidats peuvent soumettre un article d’opinion, un article d’investigation ou un reportage d’information audiovisuel sur les sujets traitants : l’Etat de droit, les droits de l’homme, la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption, la liberté d’expression, le développement démocratique et la participation citoyenne.
« Durant les années précédentes, les sujets traités par les journalistes reflètent les problèmes qui ont lieu dans leur pays. Qu’il s’agisse de corruption, de la guerre en Syrie, des exactions de l’Etat islamique, du trafic humain… », explique Jad. Plus de 32 journalistes de nationalités différentes ont gagné le prix, dans ces trois catégories. Le gagnant de chacune des trois catégories remporte un prix d’un montant de 10 000 €.
L’intérêt du prix vient après sa remise, puisqu’il donne un poids et une crédibilité au journaliste lauréat, au niveau local et international. « En plus, il donne à la cause des journalistes une dimension plus large. Elle passe de l’individuel au collectif. Ainsi, de la liberté à la démocratie en passant par la corruption… Tous ces thèmes sont désormais traités et soutenus collectivement et solidairement entre les journalistes des pays concernés », affirme Jad.
Pour sa 14e édition, le jour de la cérémonie de remise des prix se tiendra le 30 mai 2019 à Beyrouth. « Aujourd’hui, plus que jamais, la liberté d’expression et la liberté de la presse sont en danger dans notre région. Tous les jours, des journalistes sont menacés, détenus, arrêtés, et certains sont tués, parce qu’ils affirment leur pensée librement. Mais les jeunes journalistes sont en train de résister et contribuent à l’édification de l’Etat de droit ; preuve en est leur participation enthousiaste au Prix Samir Kassir ces 14 dernières années », a ainsi déclaré Gisèle Khoury-Kassir, présidente de la Fondation Samir Kassir, au cours d’une conférence de presse pour lancer cette nouvelle édition.
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