Depuis des décennies, les mutilations génitales féminines (MGF) bouleversent la vie de millions de femmes et de filles en Égypte, où les traditions culturelles et la conception erronée des obligations religieuses ont contribué à leur enracinement. Cependant, une initiative conjointe du FNUAP (Fonds des Nations Unies pour la population) et de l’UNICEF (Fonds des Nations Unies pour l’enfance), soutenue par l’UE, est en train de rebattre les cartes en donnant aux communautés les moyens d’agir, en remettant en question les normes sociales et en donnant la parole aux survivantes.
Le programme conjoint FNUAP-UNICEF sur l’élimination des mutilations génitales féminines ne vise pas seulement à mettre fin aux MGF. L’objectif est aussi de rétablir la dignité, la santé et l’espoir dans les communautés touchées depuis longtemps par cette pratique néfaste.
Aider les communautés à voir autrement les MGF : la transformation d’un chef religieux
Abdel Moneim Muhammad Abdel Rahman Abu Al-Naga, chef religieux d’un petit village égyptien, se souvient de son scepticisme lorsqu’il a assisté pour la première fois à une séance d’information sur les MGF. « J’ai grandi en croyant que les mutilations génitales féminines étaient un précepte religieux. Personne ne les remettait en question et, en tant qu’homme, je n’étais même pas conscient des dommages physiques et psychologiques qu’elles causaient », raconte-t-il.
Aujourd’hui, à 67 ans, Abdel Moneim est devenu un porte-voix de la lutte contre les MGF, contribuant à combler l’écart qui existe entre la tradition et les perspectives modernes en matière de santé. « Le projet nous a ouvert les yeux sur le fait que les mutilations génitales féminines sont non seulement néfastes, mais sont aussi des actes criminels », souligne-t-il.
Son parcours jalonné d’embûches de simple partisan à ardent défenseur a été une transformation radicale. « La première fois que j’ai assisté à une séance, je me suis senti coupable. En tant que religieux, je pensais que nous ne pouvions pas aborder ce sujet, que c’était réservé aux femmes.
Puis j’ai appris que des spécialistes des questions religieuses avaient fait des recherches sur le sujet et dénoncé ses méfaits, qu’ils soient sociaux, psychologiques ou physiques. Cela m’a fait réfléchir à de nombreuses idées reçues. »
Ayant pris son nouveau rôle à cœur, Abdel Moneim s’est souvent heurté à la résistance de ses pairs, en particulier des membres masculins de la communauté. « Les hommes sont timides. Pendant les sessions, il y en a qui se couvrent le visage ; d’autres rient ou font des clins d’œil. De façon générale, ils ont honte d’aborder ce sujet, mais progressivement, ils acceptent d’en parler », souligne-t-il.
Mettant à profit ses connaissances religieuses et usant de son influence, Abdel Moneim s’est beaucoup investi pour faire évoluer les mentalités en s’attaquant à l’un des principaux obstacles à la lutte contre cette pratique en Égypte : la croyance selon laquelle il s’agit d’une obligation religieuse.
Avec une population dépassant les 100 millions d’habitants, l’Égypte fait face à un immense défi. Toutefois, les résultats de ce programme à plusieurs volets sont porteurs d’espoir. La prévalence des MGF chez les femmes mariées ou l’ayant été a diminué, passant de 92 % en 2014 à 86 % en 2021, cette diminution étant encore plus marquée parmi les jeunes générations. L’approche du programme, qui consiste à faire participer des chefs religieux comme Abdel Moneim, autrefois silencieux sur cette question, aide les familles à comprendre les risques et permet aux communautés de redéfinir leurs pratiques culturelles.
« Les chefs religieux sont responsables de la société. Nous pouvons tout changer d’un seul mot », conclut Abdel Moneim.
Les voix du changement : des survivantes brisent le silence et instaurent la confiance
Pour Rabab Abdul Rahim, une survivante des mutilations génitales féminines, le programme conjoint a été la découverte qui a changé sa vie.
« Je me suis mariée jeune et j’ai dû déménager dans une autre province, où je ne connaissais personne. Pendant plus d’un mois après le mariage, je n’ai même pas pu avoir de relations intimes avec mon mari », révèle-t-elle. Un jour, elle a participé à une séance locale de sensibilisation aux MGF et découvert une communauté de soutien qui a changé sa vie.
« Tout ce que j’ai entendu pendant cette première session a résonné en moi », se souvient Rabab. Le soutien psychologique et les interventions communautaires du programme l’ayant aidée à surmonter son traumatisme, elle a assisté à dix autres séances.
Transformée par cette expérience, Rabab a pris l’initiative de faire passer le message. « J’en ai parlé à mes frères et à ma famille, et je me suis engagée comme bénévole », déclare-t-elle.
Ces séances sont désormais connues sous le nom de « séances Rabab », la jeune femme étant devenue une personne de confiance dans son village, qu’elle sillonne pour engager avec les femmes des discussions sur les MGF et les encourager à participer à des séances de sensibilisation
« Les gens me reconnaissent et me demandent quand aura lieu la prochaine séance. Je suis fière de transmettre un message et de contribuer à sauver des familles », confie Rabab en souriant. Son parcours, du silence au plaidoyer, témoigne de la force des survivantes et met en évidence la volonté de la communauté à accepter le changement lorsque des personnes de confiance montrent la voie.
Des campagnes novatrices qui font reculer une pratique profondément enracinée.
Le succès du programme est également dû à des bénévoles passionnés comme Ahmed Gamil Abdel Wahab, engagé depuis 2019. En tant que militant, Ahmed est confronté à des obstacles particuliers lorsqu’il s’agit de parler avec les hommes et les garçons des MGF, un sujet souvent écarté car « réservé aux femmes ».
« Je leur dis que les répercussions négatives ne concernent pas seulement les femmes et d’imaginer ce qu’ils ressentiraient s’il s’agissait de leur sœur ou de leur femme », insiste Ahmed, qui fait preuve d’empathie pour aider les hommes à envisager la question d’un point de vue personnel. Grâce à des activités sportives, des pièces de théâtre interactif et des séances de sensibilisation, Ahmed a contribué à faire évoluer la compréhension des hommes et des garçons. « Dans les villages, les gens pensent que nous sommes là pour changer leurs croyances, mais notre objectif est simplement de parler. Certains résistent, mais d’autres écoutent et finissent par comprendre. »
Son approche reflète l’accent que le programme conjoint met sur l’inclusion, visant non seulement les femmes, mais également les hommes et les dirigeants des communautés. En mobilisant le soutien de toutes les composantes de la société, le programme a provoqué « des ondes dans des eaux stagnantes », comme le décrit Ahmed, en faisant apparaître au grand jour des questions autrefois passées sous silence.
Parallèlement au programme conjoint, l’Union européenne a également financé la campagne globale intitulée « 360 Degree Surround and Engage Platform », que le FNUAP a menée dans toute l’Égypte en 2023. La campagne a consisté notamment à diffuser des contenus sur des plateformes de médias sociaux (TikTok, Instagram et Facebook) ainsi qu’une série télévisée, « Berry Leaves », qui a captivé l’attention du public en Égypte. Cette série de 33 épisodes aborde des sujets tels que les MGF, le mariage précoce et la planification familiale en humanisant les récits des femmes touchées par ces pratiques.
La série a suscité un vaste débat et une grande mobilisation, les spectateurs s’empressant de partager leurs réflexions et réactions sur les plateformes de médias sociaux. Yves Sassenrath, représentant résident du FNUAP en Égypte, souligne que le programme va bien au-delà de la sensibilisation et qu’il vise à susciter un « débat social » dans un pays où les MGF restent profondément ancrées dans les normes sociales et culturelles, en particulier dans les communautés les plus pauvres. « La série permet aux gens de découvrir les difficultés quotidiennes des personnes touchées par les MGF sans qu’ils aient l’impression d’être sermonnés. Il s’agit de créer un lien émotionnel et d’initier un dialogue au sein des foyers égyptiens », explique-t-il.
En 2023, la campagne a atteint près de 30 millions de personnes sur les médias sociaux et 108 000 utilisateurs sur le site internet.
« Chaque petite ondulation compte »
Les effets du programme conjoint se font également sentir dans les zones rurales, où la médicalisation des MGF reste urgente. La confiance accordée aux médecins, en particulier dans les communautés isolées, a parfois conféré une certaine légitimité à cette pratique, rendant la lutte contre celle-ci d’autant plus difficile.
Le travail du FNUAP porte entre autres sur la formation des professionnels de santé, la mise à jour des cadres juridiques et la mobilisation des chefs religieux pour contrer cette tendance. L’objectif est de veiller à ce que les jeunes médecins, notamment ceux qui travaillent dans des régions où la prévalence des MGF est élevée, sont bien préparés pour être en mesure de résister à la pression sociale et de respecter les normes éthiques.
Pour Ahmed, l’avenir réside dans la diversification des activités pour atteindre différents publics. « Certaines personnes préfèrent les activités dans les centres de jeunesse, d’autres sont plus réactives aux récits ou aux ateliers interactifs. Nous devons aller à la rencontre des gens là où ils se trouvent », déclare-t-il au sujet de l’engagement du programme en faveur du changement au niveau local. Rabab rêve maintenant d’élargir la portée de ses séances aux femmes plus âgées de son village, celles qui ont le plus d’influence sur les décisions familiales. « Si nous parvenons à les atteindre, nous pourrons mettre un terme définitif à cette pratique », déclare-t-elle avec conviction.
Le programme conjoint FNUAP-UNICEF sur l’élimination des mutilations génitales féminines en Égypte, soutenu par l’UE, est un exemple puissant de la manière dont des interventions ciblées, l’engagement communautaire et des campagnes médiatiques innovantes peuvent remettre en question des normes culturelles néfastes. En collaborant avec des chefs religieux, en autonomisant les survivantes et en mobilisant des bénévoles, ce programme a lancé un mouvement qui transforme progressivement les communautés dans tout le pays.
Comme le fait remarquer le chef religieux Abdel Moneim, « même si 10 % des personnes comprennent et prennent conscience des dangers des MGF, au moins elles en parleront à d’autres et diffuseront le message ». Le changement prend du temps. Pas à pas, ces communautés qui prônent le changement s’efforcent de mettre un terme à l’acceptation culturelle des MGF et d’ouvrir la voie à un avenir plus sûr et plus sain pour les femmes et les filles en Égypte.