Ibrahim et Rayane Koussa ont quitté le Nigeria pour ouvrir un petit commerce qui, grâce à l’aide de l’Union européenne (UE), est devenu une entreprise prospère dotée de deux magasins situés au nord du Liban, là où vivent leurs proches. Ce jeune couple a bénéficié de l’aide du Fonds et pour le Développement (FESD) bénéficiant de l’appui de l’UE.
Rahbe, dans le nord du Liban, n’est pas souvent à la une des journaux, bien qu’il s’agisse d’un village pittoresque et verdoyant. Le Liban n’est pas vraiment un grand pays. Toutefois, c’est à Beyrouth, dans la capitale, que sont concentrés la plupart des emplois et organes administratifs.
L’histoire des Koussa
La diaspora libanaise a longtemps été un pilier de l’économie : les Libanais avaient pour coutume de se rendre à l’étranger pour y trouver du travail. L’Afrique était l’une des destinations privilégiées par les Libanais à la recherche d’un emploi. Dans ce contexte, l’histoire des Koussa sort plutôt de l’ordinaire. Ils ont quitté l’Afrique dans l’optique d’ouvrir un nouveau commerce dans un coin perdu du Liban, avec l’appui financier de l’Union européenne par l’intermédiaire du Fonds économique et social pour le développement (FESD). Le FESD s’inscrit dans le cadre du Partenariat Euromed qui existe entre l’Union européenne et le Liban depuis novembre 2000.
Il y a six ans, Rayane Koussa et ses deux enfants – aujourd’hui âgés de 9 et 6 ans – ont quitté le Nigeria pour retourner au Liban. Il était alors prévu qu’Ibrahim, son mari, les rejoigne un an plus tard. Même s’il savait parfaitement s’occuper de lui-même, il ne résista qu’un mois tout seul, loin de sa famille. Lorsqu’on le taquine à ce sujet, il répond : « Non ! On a fait la cuisine hier. Les spaghettis sont ma spécialité. Je les ai préparés à la sauce béchamel ! Etant un couple qui travaille, on se partage naturellement les tâches ménagères. ». Rayane confirme d’ailleurs les talents culinaires de son mari : « Oui, c’est bien vrai ! Je n’ai eu qu’à réchauffer le plat au micro-ondes ! ».
Mais, reprenons depuis le début. Nous nous trouvons à Halba – capitale du gouvernorat du Akkar au nord du Liban – avec Ibrahim dans le magasin souterrain baptisé « Ta2tou2 CITY grand hall », qui s’étend sur 900 m² avec 50 m² consacrés à la petite entrée et la réserve. Ibrahim, grand, de caractère plutôt conservateur, est accueillant et très convivial avec les clients.
L’endroit ressemble à un paradis pour les enfants, rempli de jouets. Regardez un peu plus au fond et vous trouverez des vélos, des petites voitures, des gadgets, des peluches et, en gros, une multitude d’articles colorés dont les gamins raffolent. Même si les vacances arrivent bientôt, les sacs à dos et les fournitures scolaires sont toujours en rayon. Tirant une poussette, une grand-mère s’approche de la caisse tenue consciencieusement par Ibrahim. « Mabrouk ! » – félicitations en arabe – dit-il avec un sourire sincère.
En fait, il n’existait pas de tel endroit dans la région, la demande était forte. Le magasin d’Ibrahim est donc vite devenu synonyme de nouveauté, d’articles cocasses et de produits de marque, par opposition aux produits bas de gamme, voire contrefaits. Le nom Ta2tou2, prononcé « Taqtouq », n’a pas été choisi au hasard puisqu’il signifie « bric à brac » et « objet amusant » en arabe.
Ibrahim a obtenu un prêt du FESD, rendu possible grâce au soutien de l’UE sous la forme d’un « fonds de rotation mis en œuvre en 2003 après la publication d’une étude révélant que 87 % de la population travaillait dans des petites et moyennes entreprises, ce qui les excluait du système classique de prêt bancaire puisqu’un maximum de 5 000 USD était accordé dans le cadre d’un “prêt privé” », explique Helmi El Hage, responsable senior du contrôle interne au FESD. Forts de leur succès, ils ont pu obtenir non pas un, mais trois prêts – et le premier a déjà été remboursé. « C’est possible au bout d’un an, lorsque les mensualités sont payées à temps », ajoute-t-il.
Ces trois prêts ont permis aux Koussa de remplir plusieurs de leurs objectifs. Le premier prêt de 37 millions de livres libanaises – soit 22 500 euros au taux de conversion actuel – leur a permis d’ouvrir le commerce de Rahbe et d’en assurer l’approvisionnement.
Une fois le premier prêt remboursé, un deuxième leur a été accordé pour aménager l’intérieur du tout nouveau « Ta2tou2 CITY grand hall » ouvert 14 mois plus tôt à Halba. Les 75 millions de livres libanaises – soit 46 000 euros au taux de conversion actuel – leur ont permis de rénover et de décorer les locaux ainsi que d’y installer des rayonnages.
Le troisième prêt de 12 millions de livres libanaises – soit 7 000 euros – a servi à agrandir le nouveau magasin de Rahbe (en face de l’ancien magasin loué) en le reliant au magasin voisin, puis à l’appartement situé au-dessus et à construire un escalier intérieur et une grande façade en verre s’étendant sur les deux étages. Avec ses extensions, le magasin a été terminé il y a à peine un mois. « L’une des raisons principales de notre retour est la famille. Nos enfants peuvent, en plus, avoir une vie sociale et apprendre l’arabe », indique Rayane avec ses cheveux bouclés, son sourire désarmant et son air pétillant et extraverti. « Le repas du dimanche est l’occasion pour nous de voir nos belles-familles et nos cousins. C’est un grand rassemblement de frénésie familiale », ajoute-t-elle. « Le magasin de Halba est fermé le dimanche, mais celui de Rahbe est ouvert deux heures le matin et trois heures l’après-midi », précise Ibrahim.
Pendant la semaine, Rayane retourne chez elle de 13 h à 15 h 30 pour s’occuper de ses enfants lorsqu’ils rentrent de l’école et les aider avec leurs devoirs. Sa mère la remplace donc au magasin. En ce qui concerne la création d’emplois – l’un des objectifs du FESD et, par extension, de l’UE –, le magasin de Halba compte trois employés en plus d’Ibrahim, tandis que celui de Rahbe compte trois employés au total, y compris Rayane.
« Eh bien, je peux dire sans aucune hésitation qu’ils ont du courage et qu’ils travaillent d’arrache-pied », déclare Abdallah Ishac, l’un des quatre représentants du FSED dans le nord du Liban.
« J’apporte mon aide pour réaliser les études de faisabilité. Parfois, nous faisons le point sur les ventes effectuées en une année à partir des factures des fournisseurs et du stock qui est encore disponible », ajoute-t-il. « Les clients que j’ai suivis n’ont actuellement aucun défaut de paiement », précise Abdallah Ishac. Il dit s’être occupé, depuis ses débuts, d’environ deux cents cas. Le FSED estime que, depuis sa création, 7 500 emplois ont été créés au nord du Liban grâce au soutien financier de l’UE.
« Pendant longtemps, le taux de défaut de paiement s’élevait à 2 % », explique Helmi El Hage. « Ce n’est que récemment, en raison de la récession économique, que nous sommes arrivés à 5 % d’arriérés, ce qui reste très respectable. C’est pourquoi nous jouissons encore d’une très grande crédibilité vis-à-vis de nos banques partenaires », ajoute-t-il.
Ibrahim, quant à lui, explique d’un ton très professionnel : « Grosso modo, je profite de cinq saisons : Noël, lorsque je vends beaucoup de décorations et de faux sapins, la Saint-Valentin, où le magasin de Halba enregistre de meilleures performances grâce au rayon parfums et cosmétiques, Pâques et ses décorations, l’été et ses bouées et piscines gonflables, et enfin la rentrée avec la vente d’articles de papeterie et autres fournitures scolaires. Je vends aussi des déguisements pour la fête de Sainte-Barbe. Ce n’est pas une grande saison, mais c’est un plus. »
« Je ne pense pas que le magasin de Halba aurait eu des débuts si fulgurants si le nom « Ta2tou2 » n’avait pas déjà été connu dans la région. J’ai misé sur l’importance d’être le seul à vendre de vrais parfums plutôt que des copies bon marché. Le rayon maquillage propose à la fois des marques d’entrée de gamme à des prix raisonnables et des produits hauts de gamme », indique Rayane. Nous recevons des clients de toutes les classes sociales. « Je veux que tout le monde se sente le bienvenu dans mon magasin », ajoute-t-elle fièrement. On y trouve également des tenues de plage, des bijoux fantaisie et divers gadgets en plus des montres et autres articles.
« À Rahbe, la plupart des clients sont des amis ou des membres de notre famille alors quand c’est possible, on s’arrange pour faire une petite réduction ou vendre à crédit. En revanche, à Halba, c’est un petit peu plus compliqué, car je n’y vis pas, mais quand un couple attend un bébé, j’accepte de mettre de côté les objets qu’ils choisissent. Ils règlent tout ça par mensualités et lorsque le bébé arrive, ils peuvent venir chercher leurs affaires. Le matériel de puériculture fait toujours de bonnes ventes », explique Ibrahim.
« L’année dernière, un client a acheté la plus chère de mes piscines gonflables qui est au prix de 1,4 million de livres libanaises. Au moment de payer, il m’a demandé s’il était possible de faire un petit rabais. Je l’ai vendue 1,3 million. Comme il sentait qu’il avait été bien accueilli, il est revenu cette année pour un trampoline », indique Ibrahim.
« On peut dire que ce couple travaille avec son cœur et ses tripes », ajoute Abdallah Ishac. « Ils n’ont pas hésité lorsque l’opportunité de Halba s’est présentée à eux. Ils ont fait des rénovations incroyables et de très haute qualité pour améliorer le magasin. Bien sûr, ils vendraient peut-être davantage d’articles si la situation économique du pays était meilleure, mais ils avancent ensemble pour faire bouger les choses dans leurs deux magasins. »
« Je disais toujours à Abdallah qu’il me serait difficile d’obtenir un prêt… Je suis déjà allé dans une banque et ils m’ont envoyé balader. Mais, en fait, c’était facile, c’était accessible et nous y voilà ! » précise Ibrahim à propos de son expérience. « Finalement, grâce au FESD, j’ai réussi à reconstruire ce que j’avais laissé au Nigeria et plus encore », conclut-il.
*En argot libanais, le « 2 » est utilisé pour remplacer « ء » dans les mots arabes écrits avec les lettres de l’alphabet latin.
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