Koléa, bastion de la réforme carcérale
L’Union européenne et l’Algérie célèbrent cette année le 10e anniversaire de leur coopération en matière pénitentiaire. A cette occasion, la direction générale de l’Administration pénitentiaire et de la réinsertion (DGAPR) a organisé une visite de la prison de Koléa, une des plus modernes du pays, ainsi que de l’Ecole nationale des Fonctionnaires de l’administration pénitentiaire.
« Welcome ». La petite enseigne peinte à la main parait étrange. Accrochée à de lourds barreaux d’acier, elle marque l’entrée du pavillon des femmes de la prison de Koléa, petite ville située à 40 km à l’ouest d’Alger. Les visiteurs du jour- des représentants d’administrations pénitentiaires de pays européens et africains, des représentants de l’Union européenne, des membres du CICR et des journalistes- entrent dans le pavillon et traversent un long corridor qui longe un terrain de sport en plein air.
Des détenues en compagnie d’une éducatrice font des exercices physiques sur la pelouse synthétique. « Le centre de détention dispose de plusieurs terrains de sports, soit un pour chaque pavillon », indique Chaouchi Ahmed, le directeur de l’établissement pénitentiaire.
La délégation traverse un sas formé de deux lourdes portes blindées pour arriver dans l’espace carcéral réservé aux études et aux activités. Ateliers de coiffure, de broderie et de couture, séances de lecture et d’alphabétisation… le programme de formation et d’enseignement est adapté au niveau de chaque « résidente ».
La surveillante-cheffe de ce quartier apporte quelques précisions. « Notre objectif ne consiste pas seulement à meubler le temps de ces dames, nous faisons en sorte qu’elles acquièrent une somme de connaissances qui leur permettra de réussir leur réinsertion une fois sorties de prison ». Les formations sont assurées par des professeurs détachés du ministère de la Formation professionnelle et les détenues se voient remettre des diplômes.
Certaines prisonnières sont gênées par le crépitement des flashs des appareils photo. Elles baissent la tête. Un responsable du ministère de la Justice rappelle à haute voix l’instruction donnée aux photographes en début de visite : « il est interdit de prendre des photos de face, nous devons préserver la dignité de tous les détenus et de leur famille ».
L’administration du centre a institué une règle pour encourager la lecture : une récompense pour chaque livre lu. « Celui ou celle qui termine un ouvrage se doit de rédiger une fiche de lecture. Celle-ci est approuvée par l’administration puis donne lieu à une permission pour les détenus qui y ont droit ou au prolongement de la durée de la visite familiale », note le directeur.
La tournée se poursuit à l’étage supérieur. Un autre long couloir qui donne sur une série de dortoir de 10 lits chacun. Au fond des dortoirs, l’espace sanitaire composé d’un lavabo collectif coincé entre un cabinet de toilette et un bac à douche. Ces chambres communes sont propres et sentent fort les produits d’entretiens. Les effets personnels des détenues sont posés sur une petite étagère aménagée dans le prolongement de chaque lit. Savonnette, photos de proches, petits tableaux… l’intimité de chacune d’entre elles tient sur quelques centimètres carrés.
Crèche et nurserie
La délégation emprunte un escalier pour descendre vers un lieu chargé d’émotion : l’espace réservé aux mamans et à leurs enfants. Les femmes qui accouchent en prison ont le droit de garder leurs petits près d’elles pendant une période de trois ans. Les prisons construites récemment disposent d’une crèche et d’une nurserie pour permettre aux détenues de vivre leur maternité en milieu carcéral, dans des « conditions correctes ». Elles disposent d’un réfrigérateur, d’une machine à laver, de l’eau chaude. L’administration se charge de vacciner les enfants et de fournir le lait infantile et les couches. Une fois atteint l’âge de trois ans, les enfants sont remis à la famille ou placés dans des centres relevant du ministère de la Solidarité.
Philippe Le Maire, avocat général à la Cour de cassation de Paris fait remarquer que la durée de garde, en France, de l’enfant par la mère détenue n’est que de 18 mois. « En Algérie la tradition veut que la mère allaite son bébé durant deux années. Par ailleurs, des études ont démontré que l’enfant a besoin de la présence permanente de sa maman au moins jusqu’à l’âge de trois ans », répond Slimane Tiabi, directeur d’études à la Direction générale de l’administration pénitentiaire et Conseiller du Jumelage institutionnel Algérie-Italie-France financé par l’Union européenne destiné à « l’Appui au renforcement de l’administration pénitentiaire ».
Expérience algérienne
Direction le pavillon des mineurs. Là aussi les journées sont rythmées par les séances de lecture, les sessions de formation et les activités sportives. Dans une salle de classe, des jeunes suivent un programme d’alphabétisation. Selon des responsables du ministère de la Justice, le milieu carcéral offre, depuis la réforme, la possibilité aux détenus de décrocher le baccalauréat et de suivre des études universitaires. « Les statistiques ont démontré qu’il n’y a eu aucun cas de récidives parmi les prisonniers qui ont eu le bac ».
Dans une salle, des jeunes jouent au billard et au baby-foot. L’entrée inopinée de personnes étrangères semble bien plus distrayante. Certains acceptent de pauser pour les photographes. De dos uniquement pour respecter l’instruction de la direction de la prison. Nombre d’entre eux ont été condamnés pour des délits liés à la drogue. Une situation qui a conduit l’administration pénitentiaire à organiser des campagnes de sensibilisation contre l’usage et le trafic de stupéfiants.
Pour Abdoulay Cherif Djorok, directeur de l’Administration pénitentiaire tchadienne, « l’expérience algérienne peut être un exemple à suivre en matière de politique pénitentiaire ». « Durant mon séjour à Alger, j’ai eu l’occasion de voir des innovations et des concepts que nous pourrions appliquer au Tchad. Ceci est valable pour les conditions de détention, les conditions de réinsertion des détenus et le management des établissements. L’Etat tchadien est conscient de la nécessité d’améliorer les conditions de détentions. Nous pourrions tirer avantage d’une telle expérience ». Selon lui, il serait possible d’engager un programme de transfert d’expérience dans le cadre d’une coopération triangulaire entre l’Union européenne, l’Algérie et le Tchad. « L’UE est déjà engagée dans notre pays avec le Projet d’Appui à la Justice au Tchad (Prajust), cette idée de coopération triangulaire pourrait accompagner le processus de réforme de l’administration pénitentiaire ».
Les salariés en tenue moutarde
La visite se poursuit dans le quartier réservé aux ateliers des détenus adultes. Ici, la tenue jaune moutarde est de mise pour la plupart d’entre eux (elle est obligatoire pour ceux qui ont une condamnation définitive). Le premier atelier est en fait une véritable petite usine de chaussures destinées aux personnels pénitentiaires. Les prisonniers ont le statut de salarié, ils sont rémunérés par l’Office national des travaux éducatifs et d’apprentissage (ONTEA) qui revend ces chaussures à l’administration pénitentiaire. « Ils ont droit à un salaire et à une assurance sociale. Leur argent est placé dans un compte. Ils peuvent y accéder pour acheter des effets personnels ou envoyer des mandats à leurs proches », explique le directeur de la prison de Koléa.
La visite de l’établissement se termine par la salle de spectacles où des musiciens en tenue moutarde jouent Ya rayah (Toi qui t’en vas), une chanson algérienne rendue mondialement célèbre par Rachid Taha…
Philippe Le Maire livre ses premières impressions en qualité de représentant du groupement d’intérêt public français Justice Coopération Internationale qui a participé à la mise en œuvre du jumelage institutionnel financé par l’UE. « Ce que j’ai vu à Koléa m’a beaucoup impressionné. Cet établissement répond aux grands standards internationaux. Les conditions de détentions sont aux normes, il y a un travail tout à fait remarquable qui a été accompli par nos amis algériens. Je n’ai vu que la prison de Koléa, ensuite c’est toute l’administration pénitentiaire qui doit évoluer selon le modèle de cet établissement ».
Pôle d’excellence
La journée se poursuit à l’Ecole nationale des Fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, qui se situe elle aussi à Koléa. Inaugurée en 2015, l’ENFAP forme des agents, des sergents ainsi que des officiers pénitentiaires. Elle est chargée de mener des programmes de formation continue dans diverses spécialités : gestion de la détention, greffe judiciaire, traitement des mineurs et des catégories vulnérables, réinsertion…
L’école, considérée comme un pôle d’excellence, a également joué un rôle important dans la mise en œuvre du Jumelage institutionnel Algérie-Italie-France « Appui au renforcement de l’administration pénitentiaire ». « Nous avons accueilli plusieurs sessions de formation de ce programme initié par l’Union européenne, notamment en matière de management des établissements pénitentiaires, de planification des peines ou encore de catégorisation des détenus », indique Abdelhak Belamari, le directeur de l’ENFAP.
Slimane Tiabi, directeur d’études à la direction générale de l’administration pénitentiaire et Conseiller du Jumelage institutionnel Algérie-Italie-France, estime que le processus de réforme engagé dans ce secteur, et dont l’Union européenne a été un acteur important en termes d’accompagnement, a atteint ses principaux objectifs. « Le respect de la dignité humaine est aujourd’hui une garantie constitutionnelle. Le détenu qui a commis une infraction, qui est poursuivi conformément à la loi, et qui se retrouve dans un établissement pénitentiaire, garde toute sa dignité. Les droits fondamentaux des citoyens détenus sont donc garantis. Le cliché connu par l’opinion publique est que la prison est un lieu où on enferme les prisonniers. La prison aujourd’hui ce n’est plus cela », insiste-t-il. Pour lui, les réformes engagées par l’Etat algérien « peuvent préparer la personne détenue à être réinsérée dans la société ».