Egypte: des villageoises tissent leur chemin vers l'indépendance économique

Février 10, 2017
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L’autonomie économique peut considérablement améliorer la vie des femmes rurales en Egypte. La vie de plusieurs femmes d’un village du Delta égyptien a changé depuis que leurs tapis se vendent à l’international, grâce au  ‘Printemps des femmes’, un projet de l’UE, en partenariat avec ONU Femmes, qui apporte un nouveau soutien économique et politique aux citoyennes égyptiennes. Une journaliste du programme EU Neighbours South a rendu visite à des femmes à qui le projet a donné la chance d’acquérir une indépendance financière.  Elle nous raconte leur histoire.

Texte et photos de Dalia Chams

Delta égyptien – Le métier à tisser est bien intégré dans le décor de la maison paysanne, juste à côté du poste de télévision diffusant des films indiens en boucle. Wajida est fan des productions de Bollywood; elle les suit notamment en travaillant son tapis d’Ispahan qu’elle a commencé il y a deux mois. Malgré les pannes d’électricité assez fréquentes et un réseau téléphonique relativement faible, le village rudimentaire de Saquiet Abou Chaara, comptant plus de 20 000 personnes, est quand même connu pour ses tapis de soie. Depuis les années 1950, les habitants ont appris le métier grâce à deux tisserands, partis travailler dans la capitale, à quelque 40 km, soit une heure et demi de route.

1-	Wajida travaille sur son tapis d'Ispahan
Wajida travaille sur son tapis d’Ispahan

Wajida a donc exploré les secrets de l’art du tissage dès l’âge de 6-7 ans, dans la fabrique de ses oncles, mais c’est la première fois qu’elle exécute ce genre d’ornementations végétales persanes. Elle avait plutôt l’habitude des compositions traditionnelles représentant les noms de Dieu ou l’arbre de la vie, comme pas mal de ses confrères dans le village, mais cette fois-ci l’association des fabricants de tapis à la main l’a approvisionnée en soies, lui a fourni un métier à tisser et lui a demandé d’exécuter ce dessin d’Ispahan, en lui précisant les couleurs ainsi que la dimension du tapis et le nombre de nœuds, fixé à 64 par centimètre. “Nous supervisons le travail des soixante femmes qui travaillent avec nous, selon les normes et les goûts du marché international, pour pouvoir écouler leurs tapis, de meilleure qualité, explique Saïd Sadek, secrétaire général de l’association des fabricants de tapis.

« A l’aide d’une contribution ne dépassant pas 15% de leur part, l’association les dote de métier à tisser et de fils de soie, explique Sadek. On leur prend le premier tapis, à 5.600 Livres égyptiennes (LE) le mètre, alors qu’auparavant les gros fabricants ou exportateurs de tapis leur achetaient le mètre à 3000 L.E. Ils profitaient de la situation car elles ne disposaient pas d’outils de production et leur versaient un prix inférieur à celui répandu sur le marché, en contre échange de la fourniture des fils et des métiers à tisser. Leur situation était difficile d’autant plus que les ventes ont massivement chuté vu la baisse du tourisme. Désormais, après avoir achevé et vendu le premier tapis au prix fixé, elles auraient le matériel nécessaire pour confectionner un deuxième qu’elles pourraient vendre, indépendamment de l’association et du projet, mais cette fois-ci elles auraient acquis un savoir-faire ainsi qu’une capacité à se débrouiller seules sur le marché et à acheter les fils de soie, avec l’argent du premier tapis. Elles ont déjà leur métier à tisser et connaissent les prix internationaux.  Le début d’un entreprenariat féminin, » rajoute Saïd Sadek, dont l’association des fabricants de tapis distribue aux bénéficiaires du programme des planchettes d’exécution: chaque carreau du papier quadrillé coïncide avec un nœud exécuté par le tisserand.     

Cette association locale, fondée en 2006, collabore avec le Fonds social du développement mis en place par le gouvernement égyptien, qui lui, collabore avec ONU Femmes, dans le cadre du projet Le Printemps des femmes, financé par l’Union européenne, avec un montant de 1,2 millions d’euros alloués à l’Egypte sur trois ans. Le projet, dont l’objectif est d’aider à promouvoir la participation économique des femmes dans le sud de la Méditerranée et à réinvestir l’espace politique et décisionnel, a un budget total de 8,2 millions d’euros entre 2013 et 2016, avec une dimension régionale mais aussi avec des activités spécifiques dans cinq pays: l’Egypte, la Palestine, la Tunisie, la Libye et la Jordanie.

Fatma Hassan commence le tissage à l'aube et termine avant le crépuscule. Son fils Moustapha lui donne un coup de main.
Fatma Hassan commence le tissage à l’aube et termine avant le crépuscule. Son fils Moustapha lui donne un coup de main.

« L’autonomisation des femmes et l’égalité des genres sont au premier plan de l’agenda de l’Union européenne et nous nous sommes engagés à soutenir les femmes en Egypte comme ailleurs dans nos programmes régionaux et bilatéraux. Depuis 2012, le programme régional ‘Printemps des femmes’ vise à améliorer l’accès des  femmes marginalisées aux opportunités économiques en Égypte », a déclaré le Chargé d’Affaires de la Délégation de l’UE en Égypte, Reinhold Brender, ajoutant : « Le programme ‘Printemps des femmes’ a aidé beaucoup de femmes à améliorer leurs conditions de vie par l’autonomisation économique. La contribution potentielle des femmes égyptiennes à la vie économique et publique est incontestablement importante, sachant que les femmes en Egypte constituent près de 50% de la population et que la grande majorité (70%) a moins de 40 ans. L’Union européenne travaille en étroite collaboration avec ses partenaires en Egypte pour aider le pays à exploiter les avantages du grand potentiel que représentent les femmes. »

Les motifs de fleurs iraniennes de bôteh que tissent Wajida, Fatma, Nagafa et toutes ces autres femmes du village, généralement en pair, représentent, dans le tapis, l’union de l’homme et de la femme. Celle-ci attend souvent le retour de son mari, fonctionnaire dans une usine, afin de confectionner le tapis à deux. Parfois aussi, se joint à eux une troisième main, celle de leur enfant, durant ses moments de loisir.

Engy Amin, responsable du projet, s’en réjouit. Dans les locaux d’ONU Femmes à Maadi, loin des chemins en terre battue du village, elle affirme: “Notre rôle consiste à exécuter le projet sur le terrain, en coopération avec des ONG et des entités locales, afin de développer l’autonomie des femmes. Le volet économique du programme vise à réduire le taux de chômage parmi les femmes, à renforcer les compétences de la main-d’œuvre parmi celles-ci et à leur offrir des microcrédits. Ainsi, nous avons soutenu 80 artisanes du papier de papyrus à Charquiya, 200 femmes au foyer qui épluchent les artichauts à Béheira, 200 vendeuses de lait à Béni Séouf et 60 fabricantes de tapis à Ménoufia ». Puis elle poursuit en expliquant le volet politique du projet: “Reconnaissant le rôle des femmes dans le processus de transition en cours dans la région, nous avons essayé de promouvoir les réseaux de femmes parlementaires (89 députées sur les 596 membres du parlement égyptiens). Et nous avons organisé des stages au profit de 1500 étudiants, de 11 universités égyptiennes, les exhortant à la participation au développement civil et social“.

Yasmine Heika montre le premier T-shirt confectionné par les femmes du quartier informel
Yasmine Heika montre le premier T-shirt confectionné par les femmes du quartier informel

Akram Ibrahim et Yasmine Heikal, en quatrième année de Polytechnique, à l’Université Ain Chams, ont participé à ces journées de formation. Avec leurs collègues, ils ont pu installer un atelier de couture, au profit des femmes du quartier informel d’Ezbet Abou Qarn, dans le vieux Caire, leur permettant de faire des T-shirts, pas loin de chez elles.  “Les maris leur interdisaient de travailler dehors, car le quartier est délaissé par la police. Dans un 1er temps, on leur a proposé d’effectuer chacune une phase du travail, contre 2 LE par T-shirt, avec le concours de l’association Achanek Ya baladi. Mais quand notre projet a été sélectionné dans le cadre du Printemps des femmes, nous avons obtenu la somme de 15.000 LE, pour louer un petit appartement et acheter des machines à coudre“, racontent les deux étudiants qui ont appris à mieux gérer leur projet et assurer sa survie. Ils attendent leur prochaine commande.  

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Printemps des femmes   

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