Le 31 janvier 2019, au Parlement européen à Bruxelles, plusieurs fonctionnaires, experts, chercheurs et journalistes soucieux de trouver des solutions à la montée de l’extrémisme violent dans les régions du Maghreb et du Sahel se sont réunis pour partager leurs idées sur un programme de 5 millions d’euros financé par l’UE et mis en œuvre par l’UNICRI.
L’UNICRI, l’Institut interrégional de recherche des Nations Unies sur la criminalité et la justice, a créé un vaste et ambitieux programme pilote de quatre ans (2015-2019) pour lutter contre la radicalisation et l’extrémisme violent dans les régions du Maghreb et du Sahel. Comme le programme est une réussite, il a été prolongé jusqu’en juin 2020.
Avec le soutien de la Commission européenne (CE) et de la DG NEAR, quarante-huit subventions de petit montant ont été octroyées dans le cadre du projet pilote dans la région du Maghreb.
Prévenir et combattre l’extrémisme violent
Comme nous le savons tous, l’extrémisme violent connaît une recrudescence depuis la guerre en Syrie et la propagande de Daech. En général, il est considéré comme l’acceptation du recours à la violence dans le cadre d’un engagement idéologique en vue d’atteindre des objectifs politiques, religieux ou sociaux. Il s’agit non seulement de se rallier à l’idéologie, mais aussi d’agir en fonction de celle-ci.
Le programme de l’UNICRI sur la prévention et la lutte contre l’extrémisme violent (P/CVE) a bien compris la complexité de la question. Grâce aux fonds de l’UE, la réponse à ce problème a consisté en une multitude de projets menés sur le terrain dans des régions vulnérables soigneusement choisies dans un certain nombre de pays, tant au Maghreb que dans la région du Sahel. Dans la région du Maghreb en particulier, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye ont été au centre de l’attention. Le programme P/CVE s’est adapté aux contextes culturels, avec des interventions locales ciblées et un engagement à long terme avec des acteurs communautaires de confiance.
La structure complète du projet comprend l’étude du contexte réel de chaque communauté, le lancement d’initiatives locales et le suivi de leurs incidences. L’objectif principal consiste à comprendre les mécanismes qui renforcent la résilience de la communauté face aux tendances extrémistes radicales et violentes.
Personne n’est laissé pour compte
Afin de cibler chaque individu vulnérable, diverses thématiques ont été concrétisées en actions : environnement, activités artistiques et culturelles, tolérance religieuse, droits des femmes, aptitudes au débat et pensée critique, sport, médias et radio, plaidoyer et leadership.
Personne n’a été laissé pour compte. Le public visé était vaste : 27 % de jeunes, 13 % de militants de la société civile, 11 % de femmes, 11 % de journalistes, 11 % d’imams et de chefs religieux, 8 % d’enseignants dans les écoles coraniques et publiques, 6 % du personnel des collectivités locales, 5 % de groupes minoritaires, 3 % de chefs tribaux, 3 % de réfugiés et rapatriés et 3 % d’anciens esclaves.
Bien que le programme pilote financé par l’UE ait été prolongé jusqu’en 2020, la première phase de l’évaluation qualitative est sur le point d’être achevée. Un rapport sur les résultats préliminaires sera bientôt publié. Même si l’évaluation est encore à ses débuts, elle revêt une importance vitale et aide déjà l’UNICRI à identifier les bonnes pratiques et à formuler rapidement des conclusions sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas pour rendre les communautés plus aptes à faire face à la radicalisation et à l’extrémisme violent. Les résultats seront ensuite utilisés pour renforcer encore l’impact et l’efficacité des actions futures.
Parallèlement, des bulletins mensuels examinant les principales informations et présentant les dernières mises à jour avec des exemples concrets des activités mises en œuvre sur le terrain sont en cours de diffusion.
Un large éventail de projets
Les initiatives prolifiques des organisations locales ont été soutenues par l’UNICRI. Dans la mesure où les jeunes constituent la majeure partie de la population de la région du Maghreb, la plupart des actions leur ont été consacrées, compte tenu des défis auxquels ils sont confrontés. Le chômage, le manque de services publics, l’accès aux soins de santé, la méfiance envers l’establishment politique et la corruption ne sont que quelques-uns des problèmes auxquels ils doivent faire face.
Parmi les initiatives fructueuses, citons une initiative au Maroc sur les « Jeunes unis contre le radicalisme » mise en œuvre par le Comité européen pour la formation et l’agriculture (CEFA), une en Tunisie intitulée « Espoir : soutien à la citoyenneté démocratique par l’innovation artistique » de Fanni Raghman Anni (FRA), une en Libye sur le thème « Citoyen actif » menée par l’association H2O pour le soutien à la transition démocratique et à l’engagement des jeunes, et une initiative régionale intitulée « Médias pour la démocratie en Afrique du Nord » et réalisée par la Fédération internationale des journalistes (FIJ).
« Grâce à notre art, nous avons embelli des instituts, des écoles en campagne et des rues »
Mazen Smeti, 21 ans, danseur tunisien passionné, a participé à l’un des plus grands projets mis en œuvre par l’organisation COOPERA et intitulé « Jovenes para la cooperacion internacional al Desarrollo ». Il s’agissait d’une activité culturelle mobile interdisciplinaire (IMCA) destinée aux jeunes vulnérables à l’exclusion socioéconomique et à l’extrémisme violent, à la radicalisation et au recrutement de terroristes. Les activités se sont déroulées dans les montagnes tunisiennes, près de la frontière algérienne, une zone malheureusement considérée comme un point chaud de la contrebande et du terrorisme, une sorte de « quartier général informel » des groupes djihadistes.
Mazen explique qu’il a participé à deux « caravanes culturelles » différentes organisées par le projet. « Je pratiquais déjà la danse avant la caravane, et en participant à l’événement, j’ai pu développer mon talent et ma technique de danse. Au final, nous avons été en mesure de présenter un beau spectacle. »
Mazen ne s’est pas contenté de danser, il a aussi adopté une nouvelle forme d’expression. « J’ai aussi appris quelque chose de nouveau : le graffiti. J’ai tellement adoré ça qu’à la fin de la caravane culturelle, avec un groupe d’amis, nous avons créé “The Junks” ». Il s’agit d’un petit groupe engagé dans la peinture de lieux urbains qui entend leur donner une image différente et un nouveau look, afin d’encourager l’ouverture de perspectives aux jeunes. Mazen affirme que grâce à la caravane, il s’est fait de nouveaux amis et il ajoute : « Au moyen de notre art, nous avons embelli des instituts, des écoles en campagne et des rues ». Dans le cadre de cette initiative, les murs sont devenus les porte-paroles de la jeune génération. COOPERA les a encouragés en achetant divers matériaux de peinture.
Les activités du projet étaient diversifiées. Avec la coopération des chefs locaux et des chefs de village, la caravane s’est rendue à Kasserine, Sousse, Tunis, Le Kef, Sbeitla, Thala et Karouan, le tout accompagné de concerts et de divers ateliers.
Les ateliers ont eu lieu en sept endroits pendant trente-six jours, et ils ont porté sur onze thèmes de formation. De la breakdance à la peinture murale, en passant par la photographie, la coiffure, le tatouage au henné, la distillation d’huile de romarin et divers travaux manuels, il y en avait pour tous les goûts. Pas moins de 608 jeunes, filles et garçons, ont participé aux ateliers.
Omayma Derwichi, une jeune femme charismatique de vingt-deux ans, styliste de formation, a partagé avec joie son expérience. Elle a participé à l’une des caravanes culturelles organisées par l’organisation COOPERA et, pour elle, cela a été une belle expérience qu’elle a beaucoup appréciée. Elle a appris de nouvelles choses, surtout dans le domaine de la danse et du théâtre.
Omayma s’est essayée au coaching en « expression physique », une approche du mouvement pour danseurs et acteurs. Cette technique optimise les capacités corporelles pour des performances améliorées et plus sophistiquées. L’exercice en groupe l’a encouragée à se surpasser, même si, avant cela, elle avait déjà remporté des médailles,. En effet, Omayma a remporté la première place au basket-ball, au football et à la gymnastique. Cette expérience a renforcé sa confiance en elle et l’a encouragée à rester en contact avec ses nouveaux amis et peut-être, qui sait, à développer de nouveaux projets pour l’avenir.
Améliorer l’estime de soi et doter les jeunes des outils nécessaires en leur donnant de l’espoir et un but dans la vie, n’est-ce pas là la meilleure façon de combattre l’extrémisme et la violence ?
Toutes ces activités financées par l’UE ont offert une oreille attentive aux participants, les ont poussés à se mettre au défi, à faire preuve de créativité et à produire quelque chose, tout en bénéficiant du soutien d’un groupe de personnes dignes de confiance et en étant félicités pour le travail accompli. Le fait d’avoir l’occasion d’être écouté, de partager ses expériences personnelles avec les autres et d’en apprendre davantage sur les défis de la vie d’autres personnes aide en quelque sorte à trouver la paix et l’harmonie intérieures.
Le meilleur reste à venir
Les experts affirment que la désinformation, le besoin de sens et d’ordre, et le désir de changement sont les principales raisons qui expliquent l’extrémisme religieux. Néanmoins, le manque de culture, d’éducation et d’inclusion sociale constituent également des causes sous-jacentes. Plus de 80 organisations de la société civile dans les régions du Sahel et du Maghreb ont travaillé avec des groupes communautaires sur ces aspects, en essayant d’éliminer le sentiment d’être victime et de promouvoir la pensée critique, les droits humains, l’égalité des sexes et la création artistique.
Ce programme régional financé par l’UE fait beaucoup de bien aux communautés. Incroyablement diversifié et bien pensé, il sensibilise un ensemble de jeunes soigneusement sélectionnés qui, par effet domino, en sensibiliseront d’autres, etc. En respectant l’histoire, la culture et les traditions religieuses, les initiatives locales ont renforcé la cohésion et l’inclusion sociales, rendant les communautés plus résilientes face à la propagation des idéologies extrémistes violentes. Le meilleur reste à venir : l’approche adoptée dans ces interventions à petite échelle est finalement applicable à d’autres régions qui sont touchées par des phénomènes similaires.
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