Une entrepreneuse grade la tête haute malgré les difficultés du Liban

Septembre 8, 2023
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Yusr Sabra fait partie d’un groupe de 18 entrepreneuses libanaises qui ont tiré parti d’un programme d’autonomisation économique pour continuer à innover en dépit de la crise qui sévit au Liban. Grâce à des subventions de la BERD et de l’EU4WE, son entreprise de logistique et de services, Wakilni, connaît un réel essor.

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Depuis le début de la crise nationale, il y a presque quatre ans, Yusr Sabra se sent anxieuse « en permanence ». « On a d’abord eu la pandémie de COVID-19, puis l’explosion, et maintenant le tremblement de terre. Je suis toujours sur le qui-vive, je me demande ce qui va bien pouvoir se passer ensuite ».

Et qui pourrait lui reprocher d’être constamment à l’affût ? Selon la Banque mondiale, la crise économique du Liban est « l’une des trois crises les plus graves survenues dans un pays depuis le milieu du XIXe siècle ». Après avoir été considéré pendant 25 ans comme une économie à revenu intermédiaire de tranche supérieure, le Liban a chuté l’an dernier au rang de nation à revenu intermédiaire de tranche inférieure.

Néanmoins, cette jeune mère de famille dynamique, dont le nom pourrait être traduit par « faire les choses avec facilité », arbore toujours un sourire radieux et ne manque pas d’énergie pour courir partout et gérer ses 190 employés répartis dans les différentes unités de stockage de Wakilni.

Une approche éprouvée : transformer les failles du marché en opportunités commerciales

Yusr a créé son entreprise il y a près de dix ans, alors que l’économie libanaise était encore florissante. « J’avais constaté un énorme vide sur le marché des services non techniques de type conciergerie », se souvient-elle.
“Nous nous sommes d’abord adressés aux expatriés qui avaient souvent besoin que l’on s’occupe de leur logement pendant leur absence, et aux citoyens qui souhaitaient que l’on s’occupe de leurs tâches administratives. Nous nous sommes ensuite rapidement intéressés au secteur en pleine expansion du commerce électronique, qui connaissait une croissance constante dans les petites et moyennes entreprises (PME) ».

Lorsque le marché a commencé à se développer, Wakilni avait déjà un avantage considérable sur ses concurrents : la confiance. « Nos clients et nos employés ont pu voir comment nous travaillions et à quel point nous étions dévoués à l’aspect humain de l’entreprise », nous raconte Yusr, qui souligne que « pour nous, les compétences non techniques et les valeurs sont plus importantes que les diplômes universitaires ou les relations. Les ressources humaines ne sont pas seulement une fonction de soutien pour nous, mais un moteur pour notre entreprise ».

L’entrepreneuse est fière de constater que 40 % des postes de direction de Waklini sont occupés par des employés qui ont progressivement gravi les échelons de l’entreprise. Et elle de donner l’exemple d’un chauffeur qui s’est aujourd’hui hissé au rang de directeur des opérations.

Mue par ses valeurs, Wakilni n’a pas hésité à mettre ses ressources au service du peuple libanais lorsque la révolution a éclaté en 2019. « Nous livrions dans les zones de manifestation, organisions des ramassages, stockions des articles, en gros tout ce que nous avions l’habitude de faire, mais au profit de la communauté ».
« Le pays était à l’arrêt complet. Nous remplissions donc les rôles des infrastructures locales, incapables de fonctionner correctement, et apportions ainsi notre petite contribution à la révolution », explique Yusr.

La petite entreprise de Yusr a alors connu une grande popularité et a gagné la reconnaissance du public, tout en encourageant d’autres entreprises de livraison locales à suivre l’exemple.

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La résilience à l’acte : se redresser contre vents et marées

Malgré cette publicité, l’entreprise connaît toujours des difficultés financières, d’autant plus que « Wakilni n’est pas une start-up typique », souligne Yusr. « “Nous ne correspondons pas vraiment au modèle qui séduit les investisseurs ».

L’équipe a donc décidé de miser sur ce qu’elle connaît le mieux : sa communauté. Pleine d’espoir, Yusr a lancé une campagne de financement participatif, avec une vidéo d’appel aux dons. « Pour moi, ce qui importait, c’était les 130 familles qui dépendent des revenus mensuels de nos employés. Mais, alors que nous espérions récolter 50 000 dollars, nous n’en avons obtenu que 5 », se souvient-elle.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. La vidéo a attiré l’attention de deux investisseurs providentiels, qui ont injecté 650 000 dollars dans l’entreprise. Et le bateau était à nouveau à flot. Ils étaient loin de se douter que d’autres épreuves nous attendaient, la pandémie de COVID-19 a frappé la planète, rapidement suivie par l’explosion de Beyrouth.

« Notre site principal était situé très près du port. La moitié de nos bureaux ont été complètement détruits. Ce jour-là, je dois admettre que j’étais anéantie, je n’avais tout simplement pas la force de sortir du lit », nous raconte Yusr. Mais une fois de plus, le tissu humain, valeur chère à son cœur, a été son sauveur ; son équipe a commencé à ramasser les décombres et à reconstruire les étagères.

C’est alors qu’elle a créé « The Extra Mile Fund », un système de donation qui reverse un petit pourcentage des recettes de chaque livraison pour soutenir les membres de la communauté Wakilni. En leur offrant un accès gratuit à des services nécessaires tels que la visibilité en ligne, le marketing ou les conseils juridiques, Wakilni cherche à les aider à redémarrer leur entreprise dans un contexte de crise prolongée.

« J’ai été inspirée par mes expériences avec des programmes tels que le Projet d’autonomisation économique des femmes au Liban (WEEL), financé par l’Union européenne, et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. Ces deux programmes m’ont soutenue lorsque j’étais dans le besoin », explique Yusr.

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« Parce que la grandeur a juste besoin d’un petit coup de pouce »

Lancé à l’aube de la révolution d’octobre 2019, WEEL vise à soutenir les entreprises détenues et dirigées par des femmes en leur accordant des subventions allant de 15 000 à 50 000 euros, explique Zena Audi, adjointe au directeur de projet EU4WE, le programme qui chapeaute WEEL.

« Nous avons sélectionné 12 MPME et 6 start-up, qui ont montré un réel potentiel de croissance mais qui ont besoin d’un petit coup de pouce pour se développer, exporter ou accroître leur visibilité en ligne », poursuit-elle. Mis en œuvre par Expertise France via l’incubateur local Berytech, WEEL aide à couvrir les investissements, les dépenses et l’assistance technique pour ces 18 entreprises.

« Je peux témoigner que ces 40 000 euros de WEEL ont été l’une des subventions les plus bénéfiques qu’il m’ait été donné de recevoir. Elle ne nous a pas seulement aidés à nous maintenir à flot ; elle nous a propulsés à un tout autre niveau », affirme Yusr.

Grâce à la subvention, l’équipe a commencé par installer des panneaux solaires dans son bureau principal de Tripoli, afin de faire face à la crise énergétique actuelle du Liban et à la flambée des prix de l’essence. Elle a ensuite lancé un marché en ligne afin d’offrir une connexion transparente entre les entreprises et les clients.

Enfin, elle a créé une boîte à outils pour ouvrir une franchise, qui servira de tremplin à leur processus d’exportation vers l’Égypte et l’Irak.

« Nous avons tellement appris de ce programme qu’il est difficile de mettre des mots dessus. Par exemple, ils ont été très rigoureux sur la partie rapport. Nous n’avions pas compris pourquoi à l’époque, mais maintenant nous l’utilisons comme une force comparative dans nos présentations aux investisseurs ».

« C’est grâce à des programmes comme EU4WE que les petites entreprises, qui sont le cœur de la ville et de l’économie, peuvent continuer à exister », insiste Yusr, précisant que les liens avec d’autres entrepreneurs sont essentiels pour progresser. Il se trouve d’ailleurs qu’elle mobilise actuellement d’autres entreprises pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il réglemente mieux le secteur de la livraison, qui souffre d’infrastructures médiocres, de l’absence d’assurance adéquate et d’autres droits du travail.

« Nous serons toujours là les uns pour les autres, et pour avancer ».

 

Le projet
LE PROJET D’AUTONOMISATION ÉCONOMIQUE DES FEMMES AU LIBAN (WEEL) vise à soutenir les entreprises détenues et dirigées par des femmes au Liban en accordant à 8 à 20 PME et start-up des subventions allant de 15 000 à 50 000 euros. Ces subventions serviront à investir, couvrir des dépenses et bénéficier d’une assistance technique. Le projet est une initiative du programme-cadre European Union for Women’s Empowerment (EU4WE).

À propos du programme
EU4WE a été lancé par l’Union européenne en octobre 2019 pour une durée de 42 mois.
Mis en œuvre par Expertise France, EU4WE vise à promouvoir l’égalité totale et inconditionnelle entre les hommes et les femmes au Liban. L’objectif précis de l’EU4WE est de réduire les violences sexistes en favorisant l’autonomisation des femmes et en améliorant les mécanismes institutionnels existants qui œuvrent en faveur de l’égalité des sexes.

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